Pourquoi le ciel se doit de nous couper de l’aube
et nous empoisonner dès le premier frisson ?

Le ciel se couvre de seconde en seconde, présentant un orage prochain. Le vent secoue les arbres, souffle en rafale, et prend de l’ampleur. La nature se réveille, se mettant soudainement en colère. Elle se déchaine, inondant les terres désertes. C’est au bout d’un éclair qu’Hun se réveille, chancelant, le cœur palpitant et perturbé, son corps ruisselant de sueur. Sa respiration est rapide et son corps raidi. Il se redresse lentement, posant une main contre sa poitrine, pour tenter de calmer ses palpitations. Il suffoque plusieurs fois, quelques larmes s’échappant malgré lui, glissant sur ses joues jusqu’à atteindre son drap trempé. Douleur imperceptible au fond d’une abysse infinie. Plaies ouvertes et blessures inoubliables. Il décide de se lever pour passer un peu d’eau contre son visage meurtri par la souffrance de ce cauchemar. Cet interminable cauchemar. Il s’accroche au rebord pour ne pas chanceler, ses doigts s’imprégnant de la plateforme. Trois ans. Cela fait déjà trois ans et pourtant, la douleur est toujours là. Le souvenir est toujours aussi présent, comme s’il datait d’hier. Il a l’impression que cela n’aura jamais de fin. Et il le sait qu’il n’y en aura jamais une. Il a beau oublié en journée, il a beau faire l’impasse sur cette douleur il sait pertinemment qu’elle revient toujours au moment où il s’attend le moins, au moment où il est le moins vigilent. La peine l’empoisonne et le tue à petit feu. Il y a désormais entre sa vie présente et son passé un épais brouillard qu’il s’efforce de dissiper un instant. Mais comment peut-il vivre lorsque le présent dépend du passé ? C’est bien simple, il ne vit pas, il n’est qu’un fantôme qui flotte dans l’air, sans consistance, sans formes précises, tel un résidu de vie. Ses efforts pour se relier aux choses et en prendre connaissance sont rarement heureux. Quand il croit s’être accroché à quelques souvenirs, à quelques témoins d’hier, non encore pulvérisés, cette épave tout à coup échappe à ses doigts de fantôme. Parfois ce pauvre être désemparé arrive à saisir un livre dans sa bibliothèque, un livre jadis aimé mais à mesure qu’il lit les pages de jadis, ce plaisir rancit, comme un parfum qui peu à peu tourne à l’aigre. Malgré tout il sait qu’il doit survivre. Il ne doit pas forcément vivre, mais juste survivre. Il sait que dehors de bien nombreuses peines l’attendent. Il sait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Il sait qu’il va devoir faire face à de nombreuses difficultés, qu’il va encore sombrer, chaque jour un peu plus. Il doit juste tout intérioriser. Il ne doit montrer aucune faiblesse, aucune peur, aucune peine. Jamais. C’est la clé de sa survie. Même si son âme est fragilisée, blessée, apeurée, il ne doit jamais rien montrer de tout ça. Aucun sentiment. Dans ce monde il est interdit de faire partie des faibles. Dans ce monde seuls les forts survivent. Il doit donc faire partie des forts. Il sera toujours parmi eux, quoiqu’il advienne.

Par-delà les orages, les peines et les naufrages, les jours de mauvais temps, de nuages incessants, naîtra un horizon d'azur immaculé où le soleil d'été, fidèle compagnon, viendra réchauffer de ses si doux rayons . . .

On ne choisit pas sa famille et encore moins où l’on vit. Si Hun avait pu faire un choix il aurait choisi un autre destin, une autre naissance. Mais il y a des choses contre lesquelles on ne peut se battre. Grandissant au sein de la main rouge, Hun n’a jamais aimé la violence, et encore moins ces stupides querelles entre individus devant survivre sur ces terres isolées. Dès son plus jeune âge il a montré une grande maturité, réfléchissant toujours avant d’agir, usant de termes parfois complexes, comprenant rapidement les détails de la vie. Mais son intelligence et sa gentillesse lui ont souvent fait défaut, les autres enfants ne le comprenant pas toujours, le rejetant, tandis que les adultes l’évitaient aussi et le trouvaient étrange comme enfant. A partir de là, Hun a construit son propre monde, un monde allant bien au-delà des frontières imposées. Il a toujours rêvé d’aller plus loin, d’être libre et d’être maître de lui-même. Parfois il s’en allait seul, découvrir ce vaste monde, à la recherche de quelque chose. Une chose qu’il n’a jamais pu nommer et qu’il ne peut encore nommer. Hun a toujours aimé la solitude, les explorations solitaires, user de son imagination pour fuir ce clan qu’il détestait tant. Il était toujours indépendant et l’est toujours autant. Ce n’était pas un enfant bizarre, ou même fou, et encore moins retardé, c’était juste un enfant ayant grandi trop vite, devenant trop mature, ambitieux, désireux de sortir des normes mais dans l’impossibilité de le faire. Et puis un jour, elle est apparue. Différente. Éblouissante. Au moment où son regard a croisé le sien, il a su. Il a su qu’elle était celle qu’il attendait, telle sa muse venant d’un autre siècle. Très vite elle est devenue son alliée, mais surtout sa seule amie. Avec elle il a partagé quelques aventures et mésaventures. Grâce à elle il a commencé à apprécier sa famille, son clan, ne regrettant plus sa naissance. Elle était sa lumière dans l’obscurité. Sa seule source d’énergie. Son aube. Qui finit par disparaître, à tout jamais. Lassé de ce monde violent, il prit la décision de s’enfuir avec elle, sans même l’en informer, voulant la protéger de ce monde dangereux, tout en restant à ses côtés. Mais manque de chance au lieu de l'amener jusqu'à la liberté il l'a amené jusqu'à la mort . . . Et plus jamais il n’aperçut une once de luminosité. Ce fut alors le début de la fin. Et la suite de l’histoire tout le monde la connait. Hun a changé. Il est devenu l’ombre de lui-même, un être sanglant, sans âme, sans croyance, sans pitié. Du moins, il ne montre rien, encore plus qu’auparavant. Il a le visage dur, froid, hostile, devenant presque un monstre sans en devenir un. Il n’est plus que le fantôme de son destin, une ombre passagère. Il a connu le sang, la guerre, la rage, sombrant de jour en jour, sans jamais pouvoir se relever. La vie lui a laissé des marques, des cicatrices, qui jamais ne partiront.
Mais quelque part, il garde espoir. L’espoir d’une renaissance. L’espoir d’un monde meilleur. L’espoir de deux papillons réunis, une dernière fois.