☽ Des hurlements de douleurs transpercèrent la quiétude du petit matin en ce 09 avril en 2076. En ce temps où les tensions agitaient déjà la scène politique internationale, qui eut crut que la guerre serait si proche ? Après tout, ne nous annonçait-on pas la troisième guerre mondiale depuis le début du siècle ? Dernière année où l’espoir subsistait encore, où les humains comme les animaux pouvaient encore admirer la pureté du ciel. En ces premières heures du jour, les cieux s’adonnaient à un rare spectacle. Derrière un fin rideau de pluie brumeuse, la lune qui de sa lumière faisait scintiller chaque goutte d’eau tombée du ciel ne semblait vouloir aller se coucher tandis qu’à l’horizon, le soleil s’éveillait déjà. Deux astres curieux n’assistaient à la naissance d’une nouvelle vie. Draps de pluie, aile protectrice de la lune et caresse du soleil pour bénir une enfant, ainsi l’interpréta sa mère, attachée aux croyances ancestrales d’une culture désormais perdue, une fois la délivrance achevée et le premier cri du nouveau né poussé. Les yeux rivées sur son précieux bébé, ils glissèrent quelques instants sur le paysage par-delà la vitre de la fenêtre de chambre de clinique. Éblouie par la pluie scintillante, robe de soie dans laquelle dansait la lune avant s’effacer dans un ciel de plus en plus clair, elle voulut lui donner le doux prénom de Yeonwoo. Mais, le père, présent à ses côtés, se tournait bien davantage vers le soleil émergeant. Malgré sa tâche de naissance sur l’omoplate en forme de croissant de lune, son père décida donc de l’appeler sous un prénom rappelant l’éclat et la chaleur de l’astre incandescent : Ra On, comme la joie qui emplissait son coeur chaque fois que son regard se posait sur ce nourrisson déjà souriant.

ϟ Park Ra On fut bien trop jeune pour avoir le moindre souvenir de l’avant-guerre, même de la guerre. Sans vraiment comprendre pourquoi le monde tournait ainsi, la petite fille vit seulement que sa famille avait été décimée. Aux sortir de la guerre, elle n’avait plus ni mère, ni frère, ni soeur. Il n’y avait plus qu’elle et son père. Et les autres survivants, à l’instar de Ryu Heisuke et Cha Dong Ho, deux jeunes hommes, deux amis proches que le père de Ra On avait pris son sous aile en quelques sortes, qu’il appréciait et essayait de guider. Malheureusement, la fatalité ne tarda pas à rattraper l’homme en ce même temps où les deux garçons se divisèrent afin de former chacun leur clan. Désapprouvant la dureté et la cruauté de Dong Ho, sur son lit de mort, la main de la petite Ra On, âgée de seulement 3 ans,  il confia à Heisuke et au clan des Veilleurs. Un geste que Dong Ho vécu comme une trahison nette et qu’il n’était pas prêt de pardonner, même à la mémoire d’un défunt.

❀ Ainsi, Ra On grandit au sein du clan des Veilleurs. De son père, elle semblait avoir hérité le goût de l’érudition, dévorant la collection rare de livres qu’il avait laissé derrière lui dès qu’elle sut lire. Visage de poupée douce et calme lorsqu’elle était concentrée, la petite demoiselle n’en était pas pour autant sage, loin de là ! La malice perlait dans ses yeux. Sourire radieux et minois innocent, son visage ne s’en révélait pas moins mutin par moment. Elle était tourbillon de joie et de chaleur, intrépide et espiègle. Un véritable petit rayon de soleil, parfois doux et paisible, parfois étincelant presque éprouvant. Redoutable aussi, dès lors que la petite demoiselle fort sûre d’elle n’appréciait guère d’être contrariée ou réprimander. Malgré l’enfer du monde, les difficultés de vie et de survie sur cette terre dévastée, Ra On semblait toujours heureuse, à l’exception de ses terribles colères mais là encore, elle n’en restait pas moins pleine de vie. Petite orpheline qui voulait porter fièrement le prénom donné son père, dernier souvenir de lui qui l’accompagnerait à jamais…

Âgée de seulement 8 ans, Ra On était loin de se douter que sa vie « paisible » au sein des Veilleurs tournerait bien vite court. La vengeance de Dong Ho inassouvie quant à la « trahison » du père, le leader de la Main Rouge fit enlever l’enfant. Le père de Ra On avait voulu qu’elle soit élevée dans la mentalité des Veilleurs ? Alors, il se satisferait bien de faire d’elle un parfait soldat de la Main Rouge ! Cependant, l’éducation de l’indomptable petite fille ne s’annonçait pas être une mince affaire ! Visage paisible qui dissimule un esprit insoumis, Ra On se faisait aussi bornée qu’effrontée. Punitions, sévices, rien ne lui faisait courber l’échine, trop fière pour céder. L’enfant en vint même à entamer une grève de la faim. Finalement, ce fut une rencontre au sein de la Main Rouge qui poussa son petit coeur à obtempérer… Il était différent. Différent d’elle et des autres aussi, une aura qu’elle n’aurait su définir. Un battement d’ailes de papillons venus se poser sur son coeur, sortilège envoûteur, elle a voulu le découvrir, le suivre, quitte à s’imposer auprès de lui si sa présence de suscitait pas la même attraction de sa part, ou plutôt s’il n’arrivait à le reconnaitre, être honnête avec lui-même, jusqu’à ce que la jeune fille parvienne, tel un rayon de soleil à percer sa carapace de glace. Inséparables dès que l’occasion de se présentait, si Ra On avait fini par céder de reconnaitre son appartenance à la Main Rouge, ce ne fut pas à cause de la répression violente et autoritaire, mais bien par la faute de ce voleur de coeur qui avait pris possession du sien. Néanmoins, ce ne fut pas tant parce qu’elle accepta de suivre un entrainement et de s’initier à la mentalité de la Main Rouge, de s’intégrer au sein de la société de ce clan que Ra On devint pour autant docile ! Loin de là, plus elle prenait ses aises et plus son tempérament intrépide, malicieux, insoumis et curieux s’affirmait. Son sourire et sa chaleur lui était également revenue. Petit astre lumineux qui savait faire preuve d’une très grande concentration et extrême pugnacité au cours des entrainements auxquels elle s’adonnait malgré son jeune âge. Peut-être était-elle une fille, peut-être était-elle qu’une enfant aux portes de l’adolescence, mais ils verraient ! Un jour, elle serait la meilleure !

Elle s’identifiait de plus en plus comme une véritable héritière de la Main Rouge. Elle aimait rendre dingue, exacerber Dong Ho. Jouer avec le feu. Mais lorsque ses iris si brillants, innocents et un peu perdus, se posaient sur la silhouette de dos du leader, elle commençait véritablement à voir en lui comme un père spirituel. Au fond, comment savoir qui de Dong Ho ou de Heisuke lui mentait ? Les souvenirs de la mort de son père étaient bien trop flou dans son esprit, à l’instar de sa vue embrouillée par les larmes qui se déversaient en torrent sur ses joues. Elle avait perdu sa seule famille ce jour-là. Alors, Veilleurs ou Main Rouge, son coeur esseulé voulait seulement ne plus être seul, et la personne qui l’embrasait le plus, qui la rendait capable de déformer le souhait de son père si nécessaire se trouvait au sein de la Main Rouge. Ra On ne se souciait pas vraiment de l’avenir, elle aspirait surtout à marcher avec lui, son précieux ami, son amour. Cruauté du destin ou conséquence de leur imprudence, ils furent pourtant séparés. Treizième année de sa vie, trop curieuse, trop téméraire, elle se lança avec lui à transgresser l’interdit : s’éloigner du camp en échappant à la surveillance de l’adulte qui les avait en charge. Son insoumission l’avait poussé à partir en exploration, inconsciente de l’ampleur des dangers [et lui avait-il pour intention cachée de fuir avec elle ?]. Les règles ne sont pourtant pas établies sans raison, et les adolescents furent pris en chasse, traqués par un groupe de furies. La fuite, l’attaque, les amenèrent à être séparés, se perdre de vue. Ra On fut grièvement blessée. Elle ne dut sa survie qu’à un groupe d’explorateurs qui par chance passaient dans les environs. Ils la sauvèrent et la ramenèrent au sein de l’abri pour soigner ses blessures. Agonisante, à demie-inconsciente, elle n’eut pourtant de cesse pendant tous les trajets et même une fois étendue sur son lit d’hôpital, de murmurer le prénom de son ami, de les implorer de le chercher, de le sauver…

✬ Plusieurs jours passèrent avant que sa fièvre ne tombe. Quand ses yeux s’ouvrirent, elle espéra que tout ceci ne fut qu’un cauchemar, que le visage penché au-dessus d’elle était le sien, mais… Ses paupières s’ouvrirent sur le médecin en charge de soigner ses blessures : Shin Ji Hyuk.  Quand elle demanda après son ami, il lui affirma qu’il ne pouvait avoir survécu. Qu’elle avait déjà eu une chance incroyable. Bien que froid et peu bavard, ce fut à son tour de poser les questions, ou plutôt de confirmer ce qu’il savait déjà : sa marque sur sa main signifiait qu’elle appartenait à la Main Rouge. Même s’il suffisait de prouver sa loyauté pour être accepté au sein de l’abri, il lui conseilla vivement – autrement dit lui ordonna presque – de la garder cachée. Ce ne fut pas la seule chose qu’il lui affirma qu’elle devrait dissimulée : son identité aussi. Plus encore que la marque au fer rouge, ce fut sa tache de naissance qu’il reconnut. Son nom lui confirma ce dont il se doutait : Park Ra On. Jamais encore Ji Hyuk ne lui révéla le lien qui l’unissait à sa mère et même à elle, si jeune enfant qui avait bien grandi depuis la guerre. Il se contenta de lui dire qu’il savait l’enfant de qui elle était. Pour sa sécurité, pour que la Main Rouge continue de la croire morte sans jamais avoir vent de sa survie, au risque que Dong Ho puisse vouloir la retrouver, Ji Hyuk lui attribua un nouveau prénom : Yeonwoo. Rares étaient les personnes à savoir qu’il s’agissait du prénom souhaité par sa mère. Ra On elle-même l’ignorait et Ji Hyuk se garda également de le lui conter. Tout ce qu’il voulait était que cette gamine puisse vivre et grandir en sûreté au sein de l’abri désormais, sans risquer de s’épandre dans plus de sentimentalisme. Très peu pour lui ! Malgré ses réticences et son absence de chaleur, le docteur Shin Ji Hyuk devint néanmoins le tuteur de cette enfant qui répondait désormais au nom de Park Yeonwoo. Que son foyer soit austère, l’adolescente y apporterait vie et gaieté ! À propos de vie, elle fut témoin de la naissance du fils de Ji Hyuk. du départ de sa femme aussi. Celle-ci n’avait jamais vu d’un oeil favorable la présence de Yeonwwo dans leur famille. Elle ne comprenait pas pourquoi son mari avait recueilli cette enfant et il ne semblait pas enclin à lui révéler son secret non plus. Déjà animée par une dévotion de grande soeur, ce sentiment à l’égard du poupon ne fut que d’autant plus renforcé après la disparition de sa mère : une exploratrice morte en mission… Yeonwoo grandit alors, fidèle à elle-même, son tempérament inchangé, au sein de l’abri. Une vie de routine rythmée par ses péripéties entre les heures d’études. L’abri avait besoin de tête bien faites aussi. Cependant, là n’était pas ses aspirations : ayant toujours vécu à l’extérieur auparavant, Yeonwoo ne pouvait envisagée de rester enfermée toute sa vie. Et puis, elle avait beau prétendre s’être résignée à l’évidence quant à la mort de X, son coeur refusait encore d’y croire. S’il n’était plus de ce monde, elle le saurait ! Elle le sentirait ! Il devait vivre quelque part ! Le seul moyen de le revoir un jour était de partir à sa recherche, de pouvoir retourner à l’extérieur…

☼☽ En conséquence, s’y étant préparée dès que la guérison de son corps le lui avait permis à son arrivée au sein de l’Abri, Yeonwoo s’engagea dans les forces d’explorations dès le jour de ses 16 ans. Qu’on continue encore de lui faire remarquer que ce n’est pas une affectation pour une « fillette », qu’on lui claque des « reste à l’abri Princesse », n’a jamais et ne parviendra jamais à la dissuader. Pour sa formation, elle fut placée sous la tutelle de Lia, une femme de fort caractère, sans doute la mieux armée pour canalisée l’impétuosité et le tempérament tout aussi prononcé de l’adolescente. Au cours de ses années de formation, un lien très solide, fait de tensions, d’engueulades et rébellion entre les deux, s’est forgé. Yeonwoo tient énormément à Lia, même si elle non plus n’est pas toujours bien habile pour démonter son affection, sa fierté toujours. Cependant, sa propre nature l’empêche de concéder  l’autorité de sa formatrice. De surcroit, du fait de son expérience au sein de la Main Rouge, la résistance aux réprimandes de l’adolescente se révèle particulièrement corsée. Aujourd’hui âgée de 18ans, en dernière année de formation, Yeonwoo se fait de plus en plus demandeuse d’autonomie, d’indépendance en mission. Elle se dérobe à la vigilance de Lia dès que l’occasion se présente, subit sa colère qu’elle affronte avec insubordination à son retour. Elle cherche les traces d’un fantôme. Elle oscille entre fuir et se rapprocher de la Main Rouge. Elle se cherche elle-même, sa foi, sa véritable appartenance à un clan. Ses origines semblent rattachées aux Veilleurs, sa nouvelle famille vie dans la communauté de l’Abri, et si son esprit hésite, son coeur appartient à un membre de la Main Rouge….