Sparking up my heart.

Difficile de savoir ce qui est le plus douloureux entre les blessures corporelles et psychologiques. Cela faisait des années que Miho n'avait pas vu quelqu'un de la Main Rouge. Sa colère ne s'était pas atténuée pour autant, mais elle n'avait aucune raison de grandir. Quelque part, elle était consciente qu'elle allait forcément en revoir quelques uns. La Corée n'était pas si grande, même ravagée et libérée de toute frontière, mais elle ne s'attendait pas à le voir lui. Tae Kwang et elle avaient survécu à tout ce bordel ensemble. Ils n'avaient que dix ans lors de la perte de tout ce qu'ils avaient connu jusque là et ils avaient surmonté ça ensemble. S'il n'y avait pas eu ce clan de bourrins pervers et sadiques, jamais elle n'aurait perdu celui qu'elle considérait comme un frère. Ils le lui avaient arraché avec une idéologie mensongère et violente, des caractéristiques qui n'avaient jamais fait partie de Tae Kwang mais qu'ils avaient réussi à lui inculquer avec les années. Est-ce qu'il était trop tard pour lui aussi ? Ou est-ce qu'elle avait encore une chance de le récupérer ? De lui faire entendre raison ? Il était la seule raison de sa colère. S'il était mort ou s'il n'avait jamais existé, elle n'aurait gardé aucune rancune à la Main Rouge. Mais ce n'était pas le cas et la colère continuait de la ronger petit à petit de l'intérieur.

La mission devait être simple. Quelques indépendants avaient été aperçus dans la zone nord et Miho devait simplement les observer afin d'anticiper leurs prochains mouvements, ainsi que leurs intentions. Hostiles ou pas, ils étaient un risques et on ne pouvait prendre de risque en cette triste période. Mais lorsque la demoiselle avait cru voir Tae Kwang au loin, elle n'avait pu s'empêcher de s'approcher envers et contre toute règle de sécurité. Elle s'était approchée tellement qu'il avait fini par la remarquer. Et là, elle était tombée dans le piège le plus beau de l'histoire de l'idiotie. Un peu plus, et elle finissait en haut du classement des Darwin Awards. Ils avaient discuté, quelques minutes tout au plus, avant que trois des compagnons de Tae Kwang ne sortent de leur cachette. Elle avait lu la panique dans le regard de son ancien ami, qui n'avait probablement pas prévu ça, mais n'avait rien eu le temps de voir d'autre puisqu'elle avait pris la fuite. Quelques cris, insultes, et bruit de course suffirent à lui faire comprendre qu'ils la poursuivaient. Pendant quelques mètres, tout au plus, puis un bruit sourd retentit. La balle traversa la peau de son bras sans s'arrêter, lui arrachant un cri de douleur, et pourtant elle continua de courir. Ils n'étaient pas la raison pour laquelle elle fuyait. Tae Kwang l'était. Et maintenant elle crevait d'envie de lui coller deux ou trois baffes bien ajustée.

La fermeture éclaire de son sac à dos zippa et elle rechargea son fusil avec une boîte de clous qu'elle gardait précautionneusement dans sa commode de fortune. Elle posa l'arme sur son bureau et observa le bandage qu'elle s'était fait un peu plus tôt. Il était déjà imbibé de sang et elle le retira sans douceur pour nettoyer de nouveau la plaie. Il n'y avait qu'une égratignure, mais c'était moche et douloureux. Elle s'empressa de remettre un bandage propre et fut plutôt satisfaite du peu de sang qui colora la bande. Pendant quelques secondes, ses yeux se perdirent sur celle qu'elle avait autour de la main et qui masquait la marque de son passé. Son coeur se serra dans sa poitrine, et elle prit son fusil pour reporter son attention sur sa colère. Elle n'avait pas de plan. Aucun. Rien qui était susceptible de lui apporter ce qu'elle recherchait. Elle avait juste en tête de retourner à l'endroit où elle avait croisé Tae Kwang et de suivre sa piste dans l'espoir de le retrouver. Et si elle lui tombait dessus, ainsi que sur les trois autres... Elle improviserait. Ses pas la menèrent jusqu'au rideau qui lui servait de porte, et en l'ouvrant elle se retrouva nez à nez avec un grand brun, très mignon, il fallait l'avouer, et qu'elle connaissait depuis bien plus longtemps que son arrivée chez les Veilleurs. Son regard remonta des pieds jusqu'au regard de Geom et elle haussa un sourcil. "Qu'est-ce que tu fous planté devant ma porte ?" demanda-t-elle un peu sèchement, malgré elle. Si on pouvait appeler ça une porte. Cet homme avait l'art d'être toujours là quand il ne fallait pas, pour l'empêcher de faire une connerie et la protéger d'elle-même. Aussi bénéfique qu'agaçant.

Sparking up my heart.

Les bruits courts vites dans le camp des Veilleurs. Surtout quand les gens venaient sans cesse vous déranger pour un rien. Ce n’est pas que j’espionnais volontairement qui que ce soit, loin de moi cette idée. Mais, ce n’était pas ma faute si les gens parlaient et que j’étais aux alentours. J’écoutais sans même le vouloir. Disons simplement que quand quelqu’un parla d’une Miho blessée, j’eux une petite réaction. Miho faisait partit de ces gens que je voulais voir en bonne santé. Je lui devais pas mal de choses, notamment probablement le fait de ne pas être mort en captivité pendant les dix-huit mois que j’avais passé à la Main Rouge. Alors, je préférais la voir vivante. Juste une question de préférence en somme. Je finissais de faire ce que l’on m’avait demandé, un peu rapidement, simplement pour avoir le champ libre. Je passais chez moi récupérer des bandages et quelques plantes que je savais utiles contre les plaies. L’avantage quand on s’était amputé soi-même, c’était qu’on était habitué à soigner des plaies ou à faire face à la douleur. J’avais mal parfois, comme si ma main disparue me brûlait encore. C’était totalement psychologique mais, il m’arrivait de me réveiller en pleine nuit à cause de la douleur. Je prenais le chemin de la « maison » de Miho. Parce que je la connaissais suffisamment pour savoir qu’elle allait sans doute retourner chez elle. Je n’aimais pas avoir de dettes mais, j’en aurais toujours une avec elle. Et je comptais bien m’en acquitter quand je le pouvais. Et puis, elle n’avait pas toujours un caractère de chien. En même temps, je m’en fichais bien. Ce n’était pas comme si je passais des heures à lui faire la discussion. Je ne passais des heures à faire la discussion à personne de toutes les manières. Je parlais le plus quand j’étais au marché avec des clients. Sinon, j’étais plus du genre silencieux. Quand j’arrivais, il n’y avait personne. Je rentrais, de toutes les manières, dans le pire des cas, elle me frapperait peut-être pour me reprocher mon intrusion. Rien de bien méchant. Et je me tenais là en attendant qu’elle arrive. Cela ne fut pas long. Et comme je m’en doutais, elle n’était pas franchement ravie de me voir là. Autant répondre à sa question, elle était légitime. Je lui offrais un sourire.

-« J’ai entendue dire que tu étais blessée alors je t’apportais de quoi te soigner… »

Je détaillais la brune de haut en bas et fronçais les sourcils. C’est bien ce que je pensais, elle était partie pour faire du grand n’importe quoi.

-« … et possiblement t’empêcher de faire une connerie. Qu’est-ce que tu comptes faire ? Retourner te faire tuer en forêt ? »

Trop impétueuse, trop… elle en somme. Trop rebelle. C’était ce qui faisait qu’elle avait fuit la Main Rouge. J’étais un des rare à connaître son secret, et je comptais bien le garder. Mais, résultat, je connaissais aussi son caractère. Je lui adressais un regard plus qu’éloquent et lui fit signe de s’asseoir sur ce qui lui servait de couchette.

-« Avant de faire quoi que ce soit, montre moi ta plaie et calme toi. Qu’est-ce qui s’est passé ?»

Oui, se faire soigner par un mec avec un crochet, ça avait tendance à en refroidir plus d’un mais, ce n’était pas la première fois. Je maîtrisais pas mal de choses avec ce crochet. Tout était une question d’habitude et, cela faisait suffisamment de temps que j’avais perdu mon avant-bras et fabriqué ce truc pour savoir m’en servir avec toutes les délicatesses nécessaires. Et puis, je ne comptais pas franchement lui laisser le choix.

Sparking up my heart.

De l'impulsivité, Miho en avait à revendre. Elle avait pourtant bien changé depuis son séjour à la Main Rouge. Elle avait vieilli, mûri surtout. Son caractère s'était calmé, elle était devenue plus taciturne, plus observatrice, moins belliqueuse. Mais il y avait des moments où elle ne pouvait tout simplement plus contrôler la douleur en elle, et alors cette dernière prenait le pouvoir sur sa capacité de réflexion. Là dans l'immédiat, sa blessure avait peu d'importance, tout autant que les risques qu'elle allait prendre. Tout ce qu'elle voulait, c'était remettre la main sur Tae Kwang et avoir une explication avec lui. A l'époque, il n'avait rien fait contre Geom qui était prisonnier, mais il n'avait jamais adhéré au fait que Miho prenne le risque de s'occuper de lui. C'était, pour elle, une raison de plus de le faire. Afin de lui rappeler qui ils étaient, ce qu'ils étaient. Mais ça n'avait pas fonctionné et elle avait continué de s'occuper de Geom parce qu'il la touchait en plein coeur et qu'elle ne supportait pas de le voir dans ces conditions déplorables. La Main Rouge n'était qu'une organisation de tarés planqués sous le manteau de la protection et depuis qu'ils lui avaient pris son meilleur ami, elle les haïssait. L'incartade dans la forêt n'était qu'une excuse pour se jeter sur eux, alors qu'elle savait qu'elle n'avait presque aucune chance. Mais son coeur serait libéré d'un tel poids si elle pouvait enfin décharger toute sa colère...

Les nouvelles vont vite. Elle était rentrée depuis une demi heure à peine et l'information circulait déjà à propos de sa blessure. Elle qui avait voulu se faire discrète, elle allait devoir se taper un rapport. Génial. Geom se tenait devant elle et elle ne savait pas comment réagir. N'importe qui d'autre se serait déjà fait envoyer sur les roses, avec probablement une insulte en plus, mais là c'était Geom. Elle était tout bonnement incapable de se montrer méchante avec lui. "Je ne vais pas me faire tuer." Enfin, si, probablement, mais ce n'était pas le but. "Et je ne vois pas en quoi ça te regarde de toute façon." Elle aurait aimé lui crier ça à la figure, alors qu'elle ne le pensait pas du tout, mais sa voix s'était baissée en voyant quelqu'un passer dans le "couloir". Elle pinça ses lèvres entre elles avant de soupirer. Ses mains se posèrent sur son visage, qu'elle frotta, et elle s'écarta pour le laisser entrer. Bon sang, qu'elle aimerait avoir une putain de pièce insonorisée pour pouvoir hurler jusqu'à épuisement. N'importe quoi qui pourrait soulager son coeur. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'autorisait plus à pleurer et le surplus d'émotions bouillonnait en elle comme le bouchon d'un volcan près à exploser.

Son crochet, elle n'y avait jamais porté d'attention particulière. Il n'était qu'une marque de son histoire, tout comme elle portait la marque de la Main Rouge. Enfin, c'était sans doute plus handicapant d'avoir une main en moins, pour sûr. Elle alla sur sa couchette, lui laissant une place pour qu'il s'installe à côté d'elle, et elle retira le bandage un peu pourri qu'elle s'était faite elle-même. Si Miho était bonne dans son job d'éclaireuse, elle n'avait rien d'un médecin, loin de là. Même les premiers soins étaient catastrophique et là elle n'avait fait que mettre une barrière au sang qui voulait s'écouler mais elle manquait clairement de cicatrisant ou de désinfectant. Alors elle le laissa faire. Sans rien dire. Ses yeux fixaient le sol, tandis que son cerveau bouillonnait. Elle lui avait déjà parlé de Tae Kwang, de cet ami qu'elle connaissait depuis toute petite et avec qui elle avait survécu pendant 8 ans à l'apocalypse. Il l'avait sûrement même déjà vu à la Main Rouge. Mais pouvait-il ne serait-ce qu'imaginer à quel point sa trahison la bouffait de l'intérieur ? "Il était là..." finit-elle par dire. "Tae Kwang, il était avec eux, et j'ai vu sa tête quand ils m'ont repéré. Il avait l'air... Désespéré." Son visage tourna vers Geom et elle planta son regard dans celui du coréen. "Il est pas comme eux, je suis sûre que si je le traîne jusqu'ici il redeviendra comme avant, il peut pas rester là bas, il va bien falloir que j'aille le chercher un jour !" Inconsciemment, les larmes lui étaient montées aux yeux. Elle détourna le regard, s'en rendant compte, et prit une profonde inspiration dans l'espoir de se calmer. De sa main libre, elle frotta une fois de plus son visage puis passa ses doigts dans ses cheveux courts pour les rejeter en arrière. Comment pouvait-elle gérer ça seule ? Jusqu'à maintenant elle n'avait fait qu'emmagasiner, et aujourd'hui elle avait bien failli exploser.

Sparking up my heart.

Bien sur qu’elle n’allait pas se faire tuer. Du moins pas volontairement. Juste en essayant de faire quelque chose qui s’apparentait à une opération kamikaze. Et aux dernières nouvelles, il ne me semblait pas qu’Heisuke ait donné des prérogatives aussi désespérées. Effectivement, elle avait raison. Cela ne me regardait pas vraiment. En dehors de la dette que j’avais envers elle qui me poussait à faire ce genre de trucs. Je n’avais pas d’amis, je n’en voulais pas, je n’en voulais plus. J’avais suffisamment perdu et souffert pour ne plus vouloir m’imposer ce genre de choses volontairement. Mais, il y avait des personnes avec qui ma relation ressemblait plus ou moins à ce que l’on pouvait appeler de l’amitié. Elle en faisait partie. Mais, je me refusais à appeler ça de l’amitié, parce que cela irait contre toute la carapace que je m’étais forgé avec le temps. Je lui adressais un regard suffisant tandis qu’elle commençait à passer ses nerfs sur moi. Ça ne me dérangeait pas d’être pris pour un punching-ball au besoin mais bon… je ne me faisais pas prier pour faire remarquer que je n’y étais pour rien dans ce qu’il lui arrivait. J’étais arrivé après la bataille. Je m’installais sur le lit tandis qu’elle me présentait la plaie et je chopais ce qu’il fallait dans le sac pour l’aider. Ce n’était pas très profond, elle s’en remettrait, il fallait simplement éviter que cela s’infecte. On ne pouvait pas vraiment dire que l’environnement extérieur était le plus pure et le plus sain possible. Je commençais à broyer les feuilles dans le mortier que j’avais amener jusqu’à en faire une pâte assez épaisse. Elle répondit à ma question précédente et je compris son état d’agitation. Je compris pourquoi elle était aussi… énervée. Tae Kwang, elle m’avait déjà parler de cet homme. Et je l’avais vue pendant que j’étais captif à la main rouge. J’avais donc un visage associé au nom mais, le plus intéressant restait l’histoire entre lui et Minho. Je la connaissais globalement, et je savais à quel point ce nom était associé à trop de sentiments et de regrets pour qu’elle puisse être impassible. Et je savais à quel point cela faisait mal de perdre quelqu’un. Même si… son meilleur ami était en vie et que tous ceux que j’avais perdu étaient morts. Je finissais d’appliquer la pâte et le bandage avant de relever mes yeux vers son regard. Je pouvais y voir toute la peine qu’elle cachait en général. Allez savoir pourquoi, les gens semblaient enclins à me montrer leurs blessures les plus profondes. Je n’étais pourtant pas la personne la plus douée d’empathie au camp.

-« Je sais que tu veux le ramener, je sais qu’il te manque. Mais… Tu ne crois pas que s’il avait voulu venir il serait venu de son plein grès ? Est-ce que tu crois vraiment que le forcer ici est la solution ? »

Elle avait encore en mémoire quelqu’un qui n’était peut-être plus là, ou qui ne voulait plus être là. Chaque personne évoluait de manière différente. Elle était tellement certaines qu’il était un chaton égaré que j’avais parfois l’impression qu’elle se voilait la face. Je ne connaissais pas le phénomène, je me contentais d’essayer d’éviter que le jour où elle chuterait, la chute ne soit trop raide et trop douloureuse. Je savais que ce n’était pas nécessairement ce qu’elle voulait entendre mais… parfois il fallait se rendre à l’évidence. Certaines personnes n’étaient pas là pour être sauvées. Je m’attendais déjà à l’explosion d’injures et d’insultes concernant ma personne alors je préfèrais immédiatement lui proposer autre chose devant ses yeux désespérés.

-« Tu peux pleurer si tu veux, j’ai une épaule à te prêter, mais ne m’en veux pas pour mes paroles. Je n’ai pas envie que tu vives sur de faux espoirs. C’est beaucoup trop douloureux quand on ne s’est jamais préparé à l’autre option. »

J’avais toujours cru qu’ils seraient en vie quand je sortirais du bunker. J’avais toujours cru que je les retrouverais… douce illusion qui m’avait déchiré le cœur en millier de petits bouts qui s’étaient envolés avec le vent. Je ne souhaitais ce genre de douleur à personne, et surtout pas à Miho.