L'histoire de Jae Shin ne peut être expliquée par le garçon, lui-même ne connaissant pas tout le contenu de celle-ci. Une partie lui échappe, elle reste floue car personne ne peut l'expliquée et personne ne veut l'entendre. Mais si le garçon perd le contrôle parfois à cause de sa maladie, celle-ci lui a aussi permis d'avoir quelqu'un pour veiller sur cette enveloppe charnel qui le retient sur Terre  en toute circonstance. Incapable de dormir, incapable de ressentir quoi que ce soit, je suis ce que les médecins appellerait «l'observateur». Celui qui ne peut prendre possession du corps du garçon mais qui sait tout ce qui se passe avec celui-ci.


Je m'appelle Min Ah et je suis née lorsque Jae Shin avait huit ans. Je suis apparue sans en comprendre la raison moi-même, mais je n'étais pas seule, deux enfants étaient avec moi. L'un dans l'enveloppe qu'on lui avait confié, l'autre en retrait, comme pour se sauver. Les pensées du premier étaient calmes pour le peu qu'il pensait. Je me souviens avoir vu une masse sombre au-dessus du corps que j'habitais à présent. Une masse mouvante et chaude. Dans certaines circonstances cela aurait pu être agréable, mais ça ne l'était pas pour celui à qui elle était destinée.

Le corps de cet homme l'étouffait presque, je le sentais suffoqué sans se plaindre alors que le plus vieux respirait rapidement et fortement. Sa voix pourrait paraître bestiale à certains moments, grognant comme un animal d'une voix rauque. Sa peau collait contre celle de ce corps frêle à cause de la transpiration qui s'en dégageait. Quelques gouttes de sueurs se posaient même sur le front du garçon qui occupait ce corps et dont j'aurais le nom bien plus tard: Chul Hei. Il ne parlait pas beaucoup, d'ailleurs j'ai mis bien du temps à savoir comment il s'appelait puisqu'il ne semblait jamais être là tant il était silencieux. Quoi qu'il se passe il restait calme et silencieux, comme si parler était proscrit de sa configuration. Une simple poupée qui était là pour subir. C'était donc son rôle.
La raison de sa naissance était cette scène à laquelle j'assistais sans pouvoir rien faire bien qu'elle semblait affreuse. Le corps de l'enfant pouvait à peine s'adapter à cette masse qui percutait son coccyx inlassablement. Chul Hei avait même tendu sa main pour y récupérer un liquide rouge. C'était la première chose qu'il voyait depuis sa naissance. Enfant innocent et si pur, il trouvait cela fascinant. Ses petits doigts jouaient avec l'hémoglobine qui échappait de sa chair meurtrie pendant que ce qui semblait être un trentenaire continuait à la déchirée sans pitié de son sexe gonflé par le désir. Désir malsain, brutal et destructeur pour un enfant. Mais il ne semblait pas s'en soucier.

L'hôte de ce corps avait-il vécu ce genre de traumatisme jusqu'à ce que son esprit cède et se brise en morceau? Je ne comprenais pas bien la raison de notre existence, à moins que tout cela était normal? De nouveaux arrivants dans un corps déjà occupé. Même maintenant, je ne sais toujours pas si cela était normal pour d'autres personnes.

Les minutes semblaient longues et plus elles passaient, plus le claquement de cette chaire grasse et dégoulinante de sueur se faisait rapide. J'entendais une pensée de Chul Hei. « Ça fait mal. » Même à cet instant, il ne montrait aucun signe de tristesse ou de peur. Son corps étaient parcouru de signaux électriques créés par son corps plus qu'alarmant, mais c'était comme s'il était allongé pour faire une simple sieste. Le sang s'écoulait encore plus de son orifice abusé alors qu'enfin celui qui l'avait meurtri semblait avoir fini de le déchirer. Quelques coups de bassin supplémentaire et le voilà qui s'arrêtait enfin. Étalé sur l'enveloppe charnel qui nous retenait prisonnier sans se soucier de le savoir capable de respirer, Chul Hei semblait d'ailleurs ne plus y arriver pendant un peu moins d'une minute. La respiration rapide et étouffante de cet inconnu rendait le silence précédent des environs bien plus bruyant et dérangeant.

L'homme se redressait enfin pour autoriser le garçon à rester en vie encore un peu plus longtemps et décidait qu'il était temps pour lui de retirer ce membre trop large de cet orifice minuscule. Couvert de sang et de sperme, il rangeait cette masse de chaire encore dure dans son vêtement sans un mot. Je me souviens avoir pu observer son visage grâce à Chul Hei qui avait levé les yeux vers lui. Maintenant que je savais à quoi il ressemblait, je n'avais plus qu'à espérer que le propriétaire des lieux ne le voit plus jamais. Sa grande main se posait dans les cheveux du garçon, comme si après l'avoir détruit, il voulait le reconstruire. « Dors maintenant Jae Shin. » soufflait le vieux encore épuisé par ses efforts précédents. Ainsi le garçon qui s'était cacher et tût tout ce temps s'appelait Jae Shin. C'est à ce moment que j'ai appris son nom. La main du garçon se posait de nouveau sur sa petite fesse pour y voir du sang à nouveau mais aussi un liquide blanchâtre qu'il n'aimait pas. Il préférait quand c'était rouge. Juste rouge.

Son corps refusait de bouger, ses cuisses encore écartées le temps que la douleur passe, seul ses bras semblaient apte à fonctionner. Alors il finissait par s'endormir dans cette position indécente, totalement nu, le ventre, les cuisses et les fesses couvertes de sang et de sperme.


Ce moment, Jae Shin ne s'en souvient pas. Les suivants non plus. De ses huit ans à ses treize ans, Chul Hei devenait une poupée entre les mains brutales de ce qui était l'ami du père de Jae Shin. Pendant ce temps, j'avais pu en apprendre un peu plus sur la vie de cet enfant. Sa mère était tombée malade après un incident qui était survenu quand il avait cinq ans. Je n'en sais pas encore plus. Jae Shin ne s'en souvient pas très clairement et ne veut jamais y penser. Son père avait pris la relève pour faire son travail mais aussi celui de sa femme, délaissant petit à petit son seul enfant. L'offrant petit à petit à cet homme répugnant..

Entre temps, d'autres personnes nous ont rejoints. Chacun avec un rôle précis, protégeant le garçon ou le mettant en danger. Au moment où je vous raconte tout cela, nous sommes six, Jae Shin compris. Celle qui a permis à Jae Shin de s'enfuir s'appelle Mayu, une enfant de cinq ans, japonaise. A la différence de Chul Hei, elle parle beaucoup, rigole beaucoup et pleure énormément quand elle a peur. Jae Shin commençait à avoir de plus en plus d'insomnie alors Mayu est intervenu pour le faire dormir. Sauf qu'elle n'était pas partie après sa nuit de sommeil.


Bien décidée à jouer, elle s'était mise à courir partout en parlant dans sa langue natale: le japonais. Petit à petit, elle s'était enfoncée dans le désert sans faire attention à ce qu'il y avait autour d'elle. Ce n'est que lorsque Mayu s'était retournée pour rentrer qu'elle avait remarqué l'absence du camp. Seul le bruit du vent parvenait à ses oreilles. Le sable apporté par celui-ci se déposait dans ses cheveux alors que l'horizon face à elle la mettait dans tous ces états. Totalement paniqué, elle se recroquevillait en boule sur le sable chaud, des perles salées dévalant ses joues sans répit. C'est à ce moment que Jae Shin reprenait le contrôle, enfin plutôt, que Mayu disparaissait sous la panique. Plus calme que l'enfant, il regardait autour sans savoir comment il était arrivé ici. Son dernier souvenir n'était autre que lui n'arrivant pas à dormir, épuisé et presque malade par son insomnie au camp.

Il se levait lentement, perdu. A cet instant, je comprenais le souci: jamais il n'avait mis les pieds dans le désert. Bien que stressé, plus que d'habitude, il se mettait en quête du camp. A gauche? A droite? Tout droit? Il n'y avait pas un bâtiment à l'horizon, pas une personne apte à l'aider. Que pouvait-il bien dire de toute façon? Il n'avait aucune idée d'où se trouvaient ses proches, aucune idée de comment il était arrivé ici...

Le soleil se couchait au loin, menaçant d'apporter des créatures qui semblaient effrayer le jeune adolescent. A cet instant, un souvenir traversait sa mémoire, assez puissant pour l'amener à porter son pouce à ses dents et le mordre à sang.


Nuit totale, silence dans le camp. Tout le monde dormait paisiblement outre les deux personnes veillant en silence sur le campement temporaire de ces indépendants. Soudain, un cri perçait l'air. Terrifiant, à donner des sueurs froides, il fut rapidement suivi par un autre plus puissant encore au point de sortir des bras de Morphée la totalité du camp. Tous en alerte, c'est avec leurs armes en mains qu'ils cherchaient ce qui avait provoqué cette panique. Jae Shin ne faisait pas exception, réveillé par le cri, il avait sorti la tête de sa tente de fortune où il dormait avec sa petite sœur encore endormie. Du haut de ses cinq ans, il ne prenait conscience de ce qu'il se passait et sortait pour aller voir avec curiosité, il avait toujours été curieux après tout comme bien trop d’enfants. Flammes agitées dans les airs, ordres divers et variés fendant le silence précédent des environs, certains s'armaient alors que d'autres commençaient à préparer le départ imminent du groupe vers des terres plus calmes. C'était face à ce spectacle qu'était le garçon, silencieux, incapable de bouger, il vit alors la cause de cette panique. Ses grands yeux s'ouvraient sous la fascination mais également la peur.

Sous la lune, un plumage s’agitait. De ces couleurs bleutées, parsemé d’une teinte émeraude ici et là, il semblait sortir tout droit de son imagination. Mais la réalité le frappait de plein fouet. Sous ses yeux, l’homme qui avait brandi son arme venait de se faire attaquer. Un nouveau hurlement fendait l’air, une coulée de sang salissait ce plumage brillant mais également le visage et l’esprit de ce petit garçon. Plusieurs gouttes rougeâtres se giclaient sur son visage, ses yeux se posaient sur ce membre gisant au sol. Les doigts tenaient encore fermement l’arme dont l’homme s’était équipé précédemment, comme si ses nerfs ne pouvaient se détendre. Désireux d’en finir avec l’animal, il n’abandonnait pas sa lutte bien que vaine. Après le bras, c’était une autre partie de son corps que l’animal arrachait, bien plus importante, bien plus vitale : sa tête. Corps sans contrôle, il continuait à avancer avant de finir entre les dents de cet animal sous les yeux du jeune garçon. Mâchant sa chair sans souci, les yeux de l’animal se posaient sur l’enfant, comme s’il annonçait son intention prochaine de le dévorer à son tour. Tout autour d’eux, le même spectacle se déroulait. Parfois moins funèbre pour les membres de son groupe, parfois tout autant. Et pourtant… Ses iris brunes étaient incapables de voir autre chose que cet homme sous les dents puissantes de l’animal, il était incapable d’entendre autre chose que le bruit de cette chair que l’on déchire, de ses os que l’on broie sans peine.

Un bruit attirait son attention, lui qui avait été incapable de bouger depuis sa sortie de la tente. Cette dernière venait d’être écrasée par un de ces animaux, son sabot puissant la démontant pendant son combat. Un nouveau craquement parvenait à ses oreilles mais celui-ci provoquait la venue d’un cri strident à sa droite. Cette voix, elle ressemblait à s’y méprendre à sa mère. Le tissu s’imbibait de sang sous ses yeux déjà traumatisés alors qu’il comprenait ce qui provoquait cette teinte. Aucun son ne passait ses lèvres mais des perles salées dévalaient ses petites joues bombées d’enfant. Ce bruit, sous ses draps… Il faisait un pas vers le tissu malgré l’animal qui se trouvait dessus, dos à lui, en plein combat mais soudainement, ses pieds décollaient du sol. Ne clignant pas des yeux un seul instant, il aurait voulu vérifier qu’il se trompait, que sous ce tissu maltraité ne se trouvait pas sa petite sœur. Sa toute petite sœur qui n’avait que deux ans. Mais on l’amenait en toute urgence loin de ce massacre, le visage encore couvert de sang, les oreilles encore remplie de ses sons morbides malgré le silence des environs. La majorité du groupe avait rendu l’âme, anéanti par ces animaux dont la faim avait tout rasé. Un dernier regard vers le camp pour voir cet être aux ailes parsemé d’une teinte topaze attraper le corps sans vie de sa sœur entre ses dents pour le dévorer à son tour.


Le souvenir s’arrêtait là, Jae Shin avait fait fuir cette vision déjà trop troublante de ses pensées. La peur au ventre, il finissait par voir une silhouette au loin. S’avançant doucement, il espérait quelque part pouvoir mettre la main sur un membre de son groupe. Mais à mesure qu’il s’avançait, la vérité venait à lui. Cette femme face à lui n’était pas connue, alors il se stoppait, prêt à fuir. On lui avait dit : ne jamais s’approcher de personne, ne jamais faire confiance. Et cela, depuis son enfance. Tout le monde était un danger dans cette terre dévastée bien qu’il n’ait connu que cela depuis sa naissance. Toujours à la recherche de la solution, l’adolescent n’avait pas bougé alors que la femme était maintenant à portée de vue. Vêtue de vêtements qu’il n’avait jamais vu auparavant, une tignasse brune attachée d’un élastique au-dessus de sa tête. Elle semblait jeune et sa voix le confirmait. « Petit, tu fais quoi ici tout seul ? » demandait-elle une fois à portée du garçon, le sortant de ses pensées. Son petit corps sursautait et un pas en arrière il effectuait. Les lèvres de l’inconnue s’étiraient en un sourire alors qu’elle sortait une gourde de son sac mais aussi des bandages. Malgré sa peur, elle le soignait et lui donnait à boire. Malgré son silence, elle continuait de lui poser des questions et de lui parler. Grâce à cela, j’eus plusieurs informations sur sa personne.

Tout d’abord, elle venait d’un clan nommé les insurgés. Âgée de 28 ans, la jeune femme était médecin, elle vivait dans un bateau la majeure partie du temps avec son mari. Elle n’était pas bête, elle comprenait que Jae Shin ne parlerait pas mais il se laissait faire quand elle le soignait ou lui offrait à boire. Le jugeant orphelin jusqu’à preuve du contraire, elle décidait alors de le ramener avec elle au camp et de l’adopter. Peu à peu, au fil des mois, la jeune femme parvenait à communiquer avec lui, tel un fils elle apprenait à connaitre ses goûts et ses passions bien que discret sur celles-ci.


A son quinzième anniversaire –date de leur rencontre- elle lui offrit même un appareil photo ainsi que plusieurs batteries qu’elle avait cherché de toutes ses forces. Grâce à cela, Jae Shin pu enfin immortaliser les moments qu’il voulait sur l’écran un peu sale de son outils.

La même année, il parvenait à trouver sa place dans un travail. Depuis son arrivée, il avait développé une fascination : les vêtements. De tous types, utilitaires, beaux, chaud, confortable… Il y avait tellement de façon d’utiliser du tissu pour fabriquer un vêtement, tellement de coupes possibles, tellement de décorations possibles que son imagination  pouvait s’exprimer librement. Loin de devoir travailler en groupe, cela lui évitait de côtoyer d’autres personnes ; loin d’être inutile, tout le monde avait besoin de vêtements que ce soit pour la plongée, pour les rafles, pour les cérémonies en tout genre et bien d’autres fonctions. Pas encore à son compte, il n’avait que le rang d’apprenti aux yeux de son supérieur mais c’était bien mieux que celui d’esclave. D’ailleurs, il avait bien du mal à se faire à cette idée, avoir des gens sous ses ordres, devoir les punir, en faire ce qu’il voulait… Ce n’était pas dans son tempérament pourtant il faisait avec, il était obligé après tout. Mais ils devaient savoir combien il ne voulait les punir, combien il lui était impossible de le faire... Combien il pouvait être incroyable quand il le faisait. Jae Shin n’était en rien responsable, ce n’était pas sa faute si ce jour-là, un de ces types avaient osé le mettre en danger, ce n’était pas lui qui avait couvert ses propres mains de sang. Ce n’était pas lui et pourtant depuis, il inspire la même crainte que son patron aux yeux de ces gens.