Des appareils qui bipaient constamment, des tuyaux raccordant les patients aux machines, des regards avertis qui scrutaient la moindre faille… C’était un quotidien que je ne supportais plus. Je voyais leur sourire satisfait derrière la vitre qui me faisait face, mais eux ne voyaient pas la mine dégoutée que j’affichais sous le masque chirurgical. Tant mieux. pensais-je. Si d’ordinaire je leur donnais de quoi me réprimander, j’étais content de pouvoir y échapper une nouvelle fois. Alors je me contentais de pratiquer les incisions, les gestes supposés sauver l’homme qui gisait sur la table, je n’étais pas certains qu’il puisse vivre très longtemps. Je faisais fi de la conscience, m’appliquant sur les procédures, mais lorsque la dernière suture fut nouée, je ne pus retenir le soupire. Je ne restais pas une minute de plus dans cette salle, laissant le reste aux bons soins du personnel encore présent, ignorant les quelques applaudissements qui résonnaient à mes oreilles comme une insulte. Je me dirigeais vers les vestiaires, las de devoir charcuter encore et toujours des innocents… ou des coupables ? Pour ce que j’en savais. Ils pouvaient bien avoir sauvé un pays ou annihilé une population, entre mes mains ils n’étaient plus que des corps. La mâchoire serrée, je tentais d’oublier cette journée, comme toutes les précédentes pour seulement me concentrer sur celle qui gisait encore inconsciente sur son lit. Mon poing heurta le métal de mon casier, je laissais s’échapper la frustration et la colère avant de me précipiter à son côté.
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Elle dormait paisiblement, et j’espérais qu’elle puisse rêver être loin de cet enfer. « Salut belle au bois dormant. Où as-tu atterri aujourd’hui dans tes songes ? » Si j’exécrais la compagnie des malades, elle était mon exception. À ses côtés, je me sentais apaisé. Je lui contais quelques histoires avant qu’elle n’ouvre les yeux pour poser sur moi son regard innocent. Cette lueur si particulière qui brillait dans ses perles sombres et qui me donnait l’impression qu’elle pouvait lire mon âme sans même que les mots ne passent la barrière de mes lèvres. J’avais la sensation qu’elle pouvait voir tous les défauts qui me caractérisaient, et lorsqu’elle me couvait de ses prunelles, je me promettais, que pour elle je changerais. Le pantin devait couper ses ficelles, mais je ne pouvais pas le faire sans elle. Alors je préparais, depuis plusieurs semaines déjà, un plan pour m’échapper et fuir la torture physique des autres. Le supplice de devoir tuer de mes mains des hommes et des femmes que j’aurais pu apprendre à connaitre. Des personnes qui jamais plus ne rouvriraient les yeux sur ce monde ravagé. Était-ce si mal ? Je ne faisais plus la distinction entre le bon et le mauvais, j’étais trop atteint par le vice pour parvenir à comprendre les règles d’un système aujourd’hui anéanti. « Dis-moi… où tu voudrais aller vivre ? J’ai besoin de ton avis pour ça, tu veux bien te réveiller ? » Doucement, je glissais les doigts dans ses longues mèches brunes, mais elle ne m’offrait pas plus son doux regard. « Tu perds ton temps Kal’. » J’avais appris depuis longtemps à ne plus être surpris, mais je frissonnais toujours en entendant sa voix douce et venimeuse. « Pourquoi ? » Je ne lui témoignais d’aucune attention, me contentant de contempler celle qui demeurait silencieuse. « Tu sais pourquoi. Elle ne se réveillera plus. » Mes paupières chutèrent, cherchant cette force qui me faisait défaut mais dont je pouvais faire preuve au travers de coups gracieusement donnés. « La ferme. » « Ou quoi ? Tu vas de nouveau frapper tous ceux qui se trouvent à portée de tes poings ? Tu perds ton temps. Elle est sous surveillance désormais, et toi aussi. » D’agacement, je pinçais l’arrête de mon nez. Comment pouvais-je seulement l’extirper de cet abattoir alors qu’elle était trop faible ? Mais je n’avais pas le choix, il me fallait essayer.
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« Je sais que tu es fatiguée, mais tiens le coup, ok ? » J’étais fou. J’avais perdu la tête au point de la défaire de tout ce qui la maintenait en vie, mais je ne pouvais plus attendre. Je l’avais chargé sur mon dos, arpentant le plus discrètement les couloirs du centre médical que j’avais décidé de fuir. Son silence ne m’effrayait pas, je sentais son cœur cogner contre ses côtes et résonner sur mon dos. Un rythme faible mais constant et c’est ce qui me donnait le courage d’avancer. Je sentais son souffle chaud sur ma nuque, doux et régulier et il me donnait la force d’appuyer sur mes jambes pour notre survie. « On y est presque ! » La dernière ligne droite se profilait devant moi, et j’arborais presque un sourire victorieux. Mais le destin, ou plutôt les marionnettistes auxquels j’essayais d’échapper n’étaient pas de cet avis. Je sentis l’impulsion avant qu’elle ne glisse de mon dos. Je fus projeté quelques mètres plus loin, de l’autre côté de la porte qui devait nous guider vers notre terre promise alors qu’elle gisait sur le sol, inconsciente. L’horreur avait frappé à nouveau alors que l’auréole rouge s’étalait sous son corps. Je lui avais promis… Mais comment tenir parole alors qu’elle mourrait devant moi ? Je fis un effort considérable pour ne pas courir et m’effondrer à son côté, et les soldats de la Main rouge qui arrivaient par dizaines me dissuadèrent davantage. « Tu as le choix Kal’… soit tu reviens et ton jugement sera équitable, soit tu fuis… et tu iras côtoyer les quelques patients qui décorent les fosses communes… Alors ? » J’avais envie de hurler sans pouvoir la quitter des yeux. Alors je frappais, tous ceux qui osaient s’approcher pour m’entraver. Je luttais en leur infligeant le plus de blessures possible, et aucun ne savait venir à bout de ma colère. Ils s’effondraient les uns après les autres, ne manquant pas de m’écorcher au passage, mais était-ce si important ? « KALEI ! Cesses donc de lutter, tu sais que tu ne partiras pas sans elle… et je doute qu’elle puisse te suivre aujourd’hui. » Peu importait que je cherche une solution, si je tentais de la récupérer, elle périrait. Mais si j’y retournais… mes jours seraient comptés. « Je suis désolé. » Mes excuses arrachèrent une moue interrogatrice à mon vis-à-vis. « Je te promets que je reviendrais, je te retrouverais, et je t’emmènerais. Je suis désolé… » La rage luisait dans mes prunelles, et je gratifiais mon bourreau d’un doigt d’honneur avant de le gratifier de mes douces paroles. « Va te faire foutre ! » Sans plus de cérémonie, je quittais ma prison, celle dans laquelle j’avais grandi contre mon gré. Celle dans laquelle j’étais devenu un meurtrier malgré moi. Mais je me promettais, qu’un jour j’irais la récupérer.