La lumière du jour
La plupart des enfants ont des héros qu’ils idolâtrent et qu’ils prennent pour modèles. Pour Hwang Joon Ho, son héros, ou plutôt son héroïne n’était nulle autre que sa mère. Faisant partie des médecins les plus réputés de Busan, elle mettait toute son énergie au service de ses patients et de son unique enfant. Sa beauté, sa générosité et son intelligence faisaient d’elle une épouse magnifique, une mère aimante et un médecin respecté. Lorsqu’elle n’était pas à son cabinet, elle donnait des cours à son fils qui n’avait jamais fréquenté d’établissement scolaire. En effet, les parents de Joon Ho ne faisaient pas confiance en l’éducation nationale, c’est pourquoi ils avaient décidé de s’occuper eux-même de son enseignement. Sa mère lui apprenait des matières telles que les mathématiques, la biologie et la physique/chimie. Lorsque son fils eut 10 ans, elle lui enseigna des disciplines plus spécifiques à son corps de métier comme la génétique, l’anatomie et la biochimie. La passion qui l’animait lors de ses cours était si palpable que Joon Ho ne tarda pas à s’intéresser au métier de sa mère, rêvant ainsi de suivre ses traces et de devenir médecin à son tour.
Quant à son père, il était négociateur commercial et Joon Ho le voyait rarement. Il s’agissait d’un homme toujours armé d’un sourire bienveillant et séducteur qui appréciait la compagnie d’esprits plus vifs que le sien. Sa présence rayonnante n’avait rien à envier au soleil et sa démarche élégante était comparable au mouvement délicat d’une fleur qui se laissait bercer par la douce caresse du vent. Son côté sociable, très avenant, ainsi que son charisme et sa capacité à cerner les gens et leurs envies demeuraient des atouts indispensables pour son métier qu’il aimait tant. Lorsqu’il était de passage à la maison, il apprenait à son fils les sciences sociales et lui donnait également des conseils sur le comportement qu’il devait adopter avec son entourage. Il lui disait qu’il fallait toujours sourire et être poli, car l'amabilité faisait tomber le bouclier de la méfiance, mais qu’il fallait jouer avec les mesures pour ne pas faire pencher la balance du mauvais côté. Il disait également qu’il ne fallait jamais se montrer hostile et violent pour obtenir l’objet de notre convoitise, et qu’il fallait utiliser ses méninges pour trouver des alternatives. Il comparait l’âme des humains à un casse-tête qui une fois résolu nous offrait tous ses secrets. Durant ces quelques échanges, Joon Ho se contentait de hocher docilement la tête afin d’exprimer son accord, même si ses opinions allaient à l’encontre de celles de son géniteur.
C’était triste à dire, mais le garçon ne portait pas son père dans son cœur. Même s’il faisait preuve de gentillesse à son égard, quand bien même il demeurait chaleureux et aimant aux côté de son enfant, Joon Ho sentait comme une distance entre lui et son père. Son air trop parfait, tel un mirage, relevait davantage de la fiction que de la réalité. Ce visage n’était qu’un masque, une façade derrière laquelle un inconnu se planquait. Au fond, peut-être que ce blocage était le fruit de leur différence. Après tout, le garçon tenait davantage de sa mère, car tout comme elle, il se faisait plutôt discret même s’il n’en demeurait pas moins sociable, il était doté d’une grande éloquence dont il se servait pour transmettre son savoir. Il était plutôt calme alors que son père n’hésitait pas à se faire remarquer de sa voix portante. Il allait sans dire que Joon Ho qui détestait les nuisances sonores n'appréciait guère entendre son père user de ses cordes vocales.
Le voile des nuages
La famille Hwang semblait presque parfaite… Du moins en apparence. L’idée paraissait pourtant inconcevable, mais les parents de Joon Ho ne partageaient guère la même forme d’amour. Si l’épouse éprouvait un amour inconditionnel, totalement désintéressé et dangereusement aveugle, celui de l’époux relevait de l'obsession et de la domination. Leur fils l’ignorait, mais lorsque son père l’envoyait faire quelques courses pour le faire sortir de temps en temps, il en profitait pour battre sa femme. Il la frappait à des endroits qu’elle pouvait aisément cacher et ensuite, en gage d’excuse, lui offrait tout l’amour qu’elle demandait tant. Et elle, éperdument amoureuse de son mari se laissait aspirer malgré elle dans ce tourbillon infernal où la souffrance et l’amour effectuaient leur danse passionnée mais macabre. Mais son amour désespéré pour son mari ne demeurait pas l’unique motivation pour se laisser battre si docilement. C’était davantage l’amour envers son fils qui l’aidait à encaisser sans rien dire, car si elle tentait de s’éloigner de son tortionnaire ou porter plainte contre lui, Joon Ho risquait lui aussi de subir son sort et elle préférerait s’attirer les pires horreurs dont était capable son mari plutôt que de voir sa progéniture se briser devant elle. Mais pourquoi la frappait-il en fait ? Par amour ? Par égoïsme ? Par soif de domination ? Eh bien, il y avait un peu de tout cela. Très amoureux d’elle, il la considérait comme sienne. Elle n’était pas son épouse, mais sa possession sur laquelle il pouvait se défouler lorsque ses pulsions prenaient le contrôle. Sa beauté le rendait fou et il la trouvait encore plus belle lorsque les traits de son visage se crispaient sous la douleur.
Les effets de la pleine lune
D’habitude, il ne frappait jamais son visage afin de préserver sa beauté, mais un soir… Il fit une exception. Joon Ho avait 14 ans le jour où il vit tomber le masque de son père autour d’un dîner qui semblait tout à fait banal. Un accès de colère résultant d’une remarque anodine sans doute, le père de Joon Ho entra dans une folie à laquelle il n’avait jamais été en proie, du moins, personne ne l’avait jamais vu dans cet état. Il s’était enfin abandonné à ses pulsions, ses vraies pulsions. Pas juste celles à cause desquelles il frappait sa femme, mais celles qui lui ôtaient toute forme de raison et lui conféraient l’apparence d’une bête sauvage. Pourtant, aucun de leur acte et aucun de leur propos n’aurait pu libérer un tel monstre, alors quel fut l’élément déclencheur ? La lune peut-être… Sans doute. À l’instar des loups-garous, le père de Joon Ho avait deux visages, et ce soir là fut sa pleine lune à lui. Dans un accès de rage, il battit sa femme à mort devant les yeux horrifiés de son fils adolescent. Son héroïne, sa mère… Elle était désormais morte, mais son visage écrabouillé et baigné dans le sang recevait toujours les puissants coups du loup-garou. Le jeune garçon animé par la folie et la soif inextinguible de vengeance se saisit alors du premier objet capable de tuer qui fut à porté de main. Un simple couteau à viande, mais suffisamment aiguisé pour transpercer une chair beaucoup moins tendre qu’une viande cuisinée. La suite connut un enchaînement rapide : une pluie de coups s’abattit sur son dos jusqu’à ce qu’il ne s’effondre aux côtés de sa première et dernière victime. Se retournant maladroitement pour capturer une dernière fois le regard de son fils, il vit une deuxième averse pleuvoir sur son son abdomen. Sa dernière vision fut celle de sa progéniture qui arborait les traits d’un monstre sanguinaire hurlant de désespoir et de haine. Dans son dernier souffle, il eut l’impression de voir son propre reflet.
Derrière la perfection vue à travers les yeux d’autrui s’était cachée les ténèbres qui avaient donné lieu à cette scène funèbre, cette boucherie. La mort avait frappé aux portes de la famille Hwang un 21 Décembre, jour funeste que Joon Ho comptait répugner toute sa vie. L’anniversaire de la mort de sa mère qui était sa raison d’être et par la même occasion, celle de son père qui étrangement lui en avait donné une en guise de remplacement. Alors que ses mains tremblaient, l’adolescent ne put décrire la sensation qui l’avait envahi au moment où il avait occis la vie de son père et lorsqu’il vit s’éteindre la lumière de ses prunelles. Lors de ce dîner macabre, il avait goûté au plat de la vengeance et rien n’avait jamais autant satisfait ses sens : le goût sucré qu’elle lui avait laissé en bouche, le parfum de sa victime, le contact du couteau pénétrant la chair, la vue du sang couler sur la peau et enfin, la subtile note du silence qui avait majestueusement achevé cette partition criminelle.
Toutefois, l’état d’ivresse fut rapidement balayée par le revers de la réalité. Le trou béant causé par la mort de sa mère vint ajouter une note très salée alors que les larmes coulaient telles des perles de pluie sur les joues du garçon. Mais il n’avait pas le temps de pleurer la mort de sa mère, il devait agir, et vite. Il pensait d’abord à cacher le corps de son père, mais comment ? Busan étant une ville portuaire, il aurait très bien pu disperser son cadavre à la mer, mais il lui fallait un bateau pour jeter les différentes parties assez loin du port. Une fois le corps débarrassé, il aurait pu faire croire que son père avait pris la fuite après avoir battu sa femme. Quant à Joon Ho, il aurait été placé en famille d’accueil, n’ayant pas d’autres familles que ses parents, du moins à sa connaissance. Malheureusement, cette option n’était pas envisageable. Il n’était pas en moyen de dissimuler le cadavre de son père, il s’agissait d’une tâche bien trop ardue pour un gosse de 14 ans qui venait de perdre sa mère adorée. Il décida alors de prendre la fuite. Dans la hâte, il mit quelques vêtements dans un sac à dos, une trousse de secours et des provisions. Il fouilla les portefeuilles de ses parents et par chance, son père se baladait toujours avec beaucoup d’argent sur lui, allez savoir pourquoi d’ailleurs. Il déversa quelques bidons d’essence dans les différentes pièces de la maison et y mit le feu avant de partir définitivement de cet endroit maudit.
La direction du vent
Il prit le premier train qu’il pouvait. Il pensait rejoindre les frontières, mais il n’était pas sûr d’avoir assez d’argent sur lui pour aller aussi loin. Le train l’amena jusqu’à Suwon, mais une fois arrivé là-bas. Il ignorait quoi faire. Il arpenta les rues de la grande ville en essayant de cacher tant bien que mal son stress. Il voulait hurler et pleurer, mais il ne pouvait pas attirer l’attention. Il était en fuite et le feu qu’il avait provoqué n’avait sans doute pas tarder à alerter le voisinage. Bientôt, les autorités allaient découvrir deux corps carbonisés et allaient se lancer à la recherche du troisième qui manquait à l’appel. Une idée lui effleura alors l’esprit : et s’il parvenait à effacer son existence ? Se construire une nouvelle identité ? Joon Ho se lança ainsi dans cette folle entreprise. S’étant débarrassé de ses divers objets connectés pour éviter d’être tracé, il demanda alors à quelques âmes bienveillantes si elles pouvaient lui trouver un expert en informatique. Un passant lui indiqua l’adresse d’une petite agence située à Gwacheon. L’adolescent ne tarda pas à se mettre en route et rejoignit une nouvelle fois la gare pour se diriger vers la ville en convoitée. Apparemment, l’agence était tenue par une jeune femme d’une trentaine d’années qui était une experte en sécurité informatique. Il s’agissait de son unique piste, c’est pourquoi il nourrissait un grand espoir.
Une douce brise amicale
Arrivé à destination, il chercha activement l’agence de la jeune femme. Selon le passant, elle se prénommait Gaia et n’était pas coréenne de naissance, mais italienne. Il marcha toute la journée, refusant de gaspiller son argent dans des transports en commun et trouva finalement le cabinet de l’intéressée. Justement, cette dernière sortit de l’établissement et ferma les portes derrière elle. La soirée avait déjà entamé sa course du temps et elle avait bien avancé. Le cœur palpitant, les mains moites et se sentant légèrement fiévreux, il se présenta à elle. Sa chevelure foncée tombait en cascade sur son buste, sa taille gracile lui donnait l’allure d’une fleur délicate et sa peau légèrement hâlée faisait d’elle une beauté méditerranéenne que jamais il n’aurait cru rencontrer. Ses grands yeux verts la rendaient mystérieuse, intrigante et inaccessible, bien que lorsqu’il eut enfin le courage de lui parler, il fut surpris de ce sentiment chaleureux qu’elle dégageait.
Lors d’une longue balade sous les lumières bienveillantes des lampadaires, Joon Ho s’était efforcé de lui expliquer ce qu’il lui était arrivé et pourquoi il avait besoin d’elle. Le poids de la culpabilité l’avait brisé au point où il se sentit obligé d’avouer l’ignominie dont il avait fait preuve. Néanmoins, il avait légèrement modifié son histoire en racontant qu’il avait tué son père par unique légitime défense et il n’avait pas non plus mentionné l’incendie qu’il avait déclenché. Il ne voulait pas qu’elle le prenne pour un dégénéré… La jeune femme avait stoppé sa marche et regardait l’adolescent d’un air perplexe :
« Je suis une étrangère et tu me racontes une telle histoire… À l’extérieur en plus, là où les feuilles et les murs ont des oreilles. Tu es fou ou quoi ? »« Pa… Pardon ? »Gaia prit le bras de Joon Ho et pressa le pas. Son appartement n’était plus trop loin et plus aucun mot ne fut prononcé jusqu’à leur arrivée dans sa demeure. Elle avait raison, c’était bien trop dangereux de parler de cela en pleine rue, à une inconnue de surcroît. Mais il ne se sentait pas capable de garder un tel secret, il savait qu’il risquait de sombrer dans la démence s’il n’avouait rien. Il avait commis deux crimes en une nuit alors qu’avant tout cela, sa vie avait suivi le courant d’un long fleuve tranquille. Il se délesta de ses affaires et fut invité à s’installer sur le canapé alors qu’elle lui préparait un chocolat chaud.
« Tiens, bois ça. Et mange un peu aussi, tu dois être affamé. », lui déclara-t-elle en lui tendant un paquet de gâteaux.
« Si je comprends bien, tu es venu me voir pour que j’efface ton existence du web parce que tu es recherché ? »Joon Ho prit un gâteaux et le porta à sa bouche. Il n’avait effectivement rien mangé de la journée. Il leva honteusement les yeux vers son hôte.
« Oui… Je suis un fugitif doublé d’un meurtrier... »« Meurtrier ? Techniquement oui. Mais c’était de la légitime défense n’est-ce pas ? »Baissant à présent les yeux, ses doigts serraient la tasse chaude alors qu’il tremblait de peur, de colère et de tristesse. Ses yeux devinrent humides et il ne répondit pas tout de suite à la question. Il éclata en sanglot, faisant déborder quelques gouttes de son breuvage. Il lâcha totalement prise et raconta la vérité en se disant qu’il mériterait ce qu’il lui arriverait. Il lui révéla à quel point il idolâtrait sa mère, qu’elle était tout pour lui et qu’il crut voir sa vie prendre fin le soir où elle fut tuée sous ses yeux. Il lui expliqua qu’il s’était toujours méfié de son père, cet homme trop parfait en apparence pour l’être également de l’intérieur et comment il se sentit revivre au moment où il eut écourté sa vie, voulant se faire justice lui-même, car il était persuadé qu’il aurait pu s’en tirer tellement il n’éprouvait aucun scrupule à manipuler les autres et à leur causer du tort pour obtenir ce qu’il désirait. Il décrivit aussi la sensation qu’il avait éprouvé au moment du meurtre de son père et presque inconsciemment, il s’exclama qu’il ferait n'importe quoi pour ressentir cette satisfaction, cette plénitude qui l’avait complètement enivré. Rien n’avait été plus jouissif pour lui que d’abattre la pourriture qu’était son père.
Gaia demeurait d’un calme à toute épreuve. N’importe qui aurait pu être choqué d’une telle histoire, mais pas elle. Cependant, elle ignorait si elle devait faire preuve de compassion envers le jeune homme où si elle devait manifester une quelconque inquiétude concernant cette révélation.
« Tu veux dire que… Tu aimerais à nouveau tuer ? »Joon Ho la contempla de ses yeux rougis, l’air coupable.
« Je n’en sais rien. Peut-être... » Occire la vie d’une personne devait sans doute être une drogue qui, lorsqu’on y eut goûté, nous rendait accro. Enfin… C’est ce que pensait Joon Ho. Beaucoup auraient été traumatisés et deviendraient fous et bien qu’il se sentait coupable et qu’il voulait se délester d’un poids, la seule raison qui le pousserait à la folie serait de ne plus s’abandonner au plaisir interdit auquel il avait goûté la nuit dernière.
« Tu me tuerais si jamais tu éprouvais à nouveau cet… appétit ? »« Quoi ?? Non ! Jamais je ne vous ferais du mal ! Seules les pourritures comme mon père mériteraient de crever ! »« Très bien… » La jeune femme se rapprocha de l’adolescent et planta son regard dans le sien :
« Concernant tes données, je ne peux pas te promettre de pouvoir toutes les effacer. Ça prendra du temps et il faudra que tu me dresses une liste des comptes que tu utilisais avec les adresses mail liées. J’espère pour toi que tu étais assez discret sur les réseaux sociaux, car là encore, la tâche serait plus ardue. Je peux aussi mettre des bâtons dans les roues à ceux qui essaieront de te retrouver… » Son air devint plus sérieux.
« Je peux t’héberger sans problème et tu n’auras pas à me payer. Par contre… Il va falloir que tu m’aides. »Joon Ho la regarda, l’air perplexe.
« Comment ça ? »« Je suis une cyberdétective. Il m’arrive parfois d’être confrontée à des pourritures du même genre que ton père, mais je suis incapable de rendre justice à leurs victimes. Les procédures légales ne sont pas de mon ressort, elles prennent trop de temps et nécessitent beaucoup trop d’argent. Chaque criminel qui file entre mes doigts est un déchet qui encombre et pourrit davantage notre belle planète. » D’un geste affectueux, elle caressa la joue de Joon Ho de ses doigts fins.
« Contrairement à toi, je ne pense pas être capable de tuer, c’est pourquoi… C’est pourquoi j’aimerais te demander si tu étais prêt à te salir les mains pour m’aider à faire... du nettoyage ? » L’aurore pourpre
Le duo improbable vivait ainsi sa petite vie dans la ville de Gwacheon. L'appartement de la jeune femme avait même accueilli deux labradors que Joon Ho adorait promener. Petit à petit, ils s’étaient instauré un rituel qui avait fait ses preuves jusqu’à présent. Gaia identifiait et localisait les criminels, Joon Ho les immobilisait avec de l’étorphine, les jettait dans la bagnole de Gaia et tous deux se rendaient dans un box que louait la jeune femme. C’était leur scène de crime, là où le garçon pouvait s’abandonner à ses pulsions meurtrières. Plus il tuait, plus il voulait tuer. En trois ans, le jeune homme avait bien changé, il était plus posé, plus confiant et assumait cette nouvelle partie de lui. Sa mère lui manquait toujours autant, et il ne pouvait se résoudre à tuer des femmes dont la beauté se rapprochait de celle de sa défunte mère. C’était sans doute ridicule d’épargner une criminelle grâce à son apparence, mais c’était plus fort que lui. Durant ses parties de meurtres, il essayait d’éviter la barbarie et lui préférait la minutie et l’art qui se cachait derrière. Il n’aimait pas le bruit non plus, surtout les voix bien portantes appartenant à ces hommes charismatiques et fourbes. À ceux-là, il leur réservait un traitement bien spécial : en attendant qu’ils se réveillent, Joon Ho prenait soin de coudre leurs lèvres pour éviter qu’ils ne crient dès l’instant où la douleur se ferait ressentir. il était curieux de voir si ses victimes préféraient souffrir en silence ou hurler à s’en arracher les lèvres. Seulement il y avait un hic : la douleur était parfois d’une telle ampleur que les victimes criaient quand même, leurs plaintes résonnant contre les parois du garde-meuble. Dans ces moments-là, il appliquait simplement du scotch sur leur bouche, une simple méthode qu’il réservait à ses autres victimes. Mais un jour, il décida de pousser le vice encore plus loin et imposa un dilemme au criminel qu’il n’allait pas tarder à tuer.
« Au début, tu voudras sans doute crier, mais la douleur t’en empêchera. Si ce n’est pas le cas, ta plainte rebondira telle une balle sur ces murs et la douleur t’assommera peut-être. Si tu n’as pas cette chance et que tu continues à crier, je n’aurais pas d’autre choix que de te couper la langue. À toi de choisir. » Avait-il coupé au moins une langue ? Oui, quelques unes même.
Gaia n’avait jamais assisté aux séances de tortures. Elle ne souhaitait guère voir son petit protégé à l’œuvre de peur de changer drastiquement d’opinion à son égard. De toute manière, ce dernier ne tenait pas non plus à ce qu’elle y assiste, car il devrait sans doute freiner ses ardeurs pour éviter d'effrayer la jeune femme. Une fois la victime morte, Joon Ho entamait un procédé long et minutieux pour se débarrasser du corps… Qu’il préférait conserver, en réalité. Avec le savoir-faire d’un boucher, il nettoyait le corps, le vidait et le démembrait. Il congelait ensuite les morceaux et les organes puis les donnait à manger à ses deux chiens.
En trois ans, ils avaient réussi éliminer une vingtaine de criminels sans jamais se faire attraper, ni même lever de quelconques suspicions. Joon Ho avait appris à se faire très discret et grâce à Gaia, il était devenu un fantôme dans le monde numérique. À 17 ans, il était devenu un jeune homme brillant qui avait poursuivi son apprentissage dans le domaine de la médecine, car il n'avait jamais abandonné son rêve de suivre les traces de sa mère. Il était aussi plus vigilant, sur ses gardes et avait dû apprendre à mentir, car personne à part Gaia ne pouvait savoir qui il était vraiment.
Les nuages de La Grande Guerre
Malheureusement, leur routine si bien installée ne put durer. La cupidité et la soif de pouvoir de l'Homme avaient eu raison de la paix et de la prospérité. Joon Ho et Gaia s'étaient rendus à Suwon pour s'occuper de plusieurs cas de blessés graves. C'était la panique dans les rues, les gens se bousculaient, certains en renversaient d'autres en voiture car trop pressés de rejoindre un abri sûr. C'était la débandade, le chaos. Les hôpitaux étant bondés, le jeune homme dut s'occuper des blessés à même les rues. Que pouvait-on espérer tirer de lui dans de pareilles conditions ? Il se sentait complètement inutile, mais il faisait de son mieux.
Au moment où il devait soigner un autre patient, deux hommes se ruèrent sur lui pour le sommer de soigner leurs enfants respectifs. Joon Ho examina les deux enfants et choisit de s'occuper du petit garçon en premier, estimant que les blessures de la petite fille étaient davantage superficielles. Cependant, le père trop inquiet pour sa petite princesse devint fou de rage et sortit un flingue de la poche de sa veste afin de menacer le jeune médecin. Gaia s'interposa pour faire office de bouclier humain, mais le père, emporté par la colère n'hésita pas une seule seconde fit feu, touchant la jeune femme à la poitrine. La suite des événements s'enchaina très rapidement : Joon Ho n'eut pas le temps de réagir qu'il fut violemment saisi par l'homme devenu complètement fou. Il le projeta contre la façade de l'hôpital, se saisit d'une barre en fer et lui asséna de violents coups à la tête. Le tintement de la barre résonna une fraction de secondes au creux de son crâne et puis... Plus rien.
La renaissance
Lorsque Joon Ho se réveilla, le calme régnait dans les rues de Suwon, du moins dans ce qu'il en restait. Un garçon d'à peu près son âge se tenait près de lui et le jeune médecin se releva non sans peine pour mieux examiner ses traits. Une violente migraine lui donnait envie de sombrer à nouveau dans le coma, mais il tint bon, ne voulant prendre en aucun cas le risque de se réveiller des années plus tard, voire même jamais. Il se frotta les yeux et effleura par mégarde ce qui semblait être un bandage. Cet homme l'avait-il soigné ? Il voulut se présenter à lui, mais à sa grande surprise, il ignorait quel nom lui donner. Il ne savait pas... Il ne savait plus qui il était. Son nom, son prénom, son âge, sa famille, son passé... Tous ces éléments s'étaient perdus dans les méandres du néant et il crut en devenir fou. Mais au fait, que s'était-il passé ? Pourquoi cet endroit était-il aussi ravagé ?
Il demanda alors à son sauveur de lui expliquer très brièvement la situation. Une guerre avait éclaté et ils en étaient les survivants. Un guerre... Cet événement funeste s'était déroulé il y a peu et pourtant, il n'en avait plus aucun souvenir. Lorsqu'il eut digéré l'information, il lui demanda son nom.
« Dong Ho... On se connaît ? » Peut-être qu'il était son meilleur ami et qu'il ne s'en souvenait pas, ou peut-être était-il un parfait étranger. Mais lui aussi demeurait un parfait étranger, même pour lui... Il lui demanda de lui attribuer un nom et un âge alors qu'il le suivait vers une foule. Un rassemblement ? Pour quoi faire ? Le prénommé Dong Ho s'était arrêté et contempla le jeune amnésique avec insistance.
« Jung Hye Seong ? Ça sonne bien... 17 ans ? Pourquoi pas... » Il haussa les épaules. Qu'il ait 17 ou 20 ans, qu'est-ce que cela pouvait bien changer de toute façon ? Un détail vint cependant lui chatouiller l'esprit? Et son anniversaire ? Il le fêterait quand ?
« On pourra fêter mon anniversaire le 21 Décembre ? Je ne sais pas, cette date sonne bien, j'ai l'impression qu'il s'est passé quelque chose d'important un 21 Décembre. »L'entretien avec les survivants n'avait mené à rien, du moins pour Dong Ho. Ce dernier n'appréciait guère les conditions actuelles et n'accepterait en aucun cas de vivre comme une victime de la guerre. Au contraire, il se voyait davantage diriger une organisation dans laquelle il formerait ses recrues pour leur permettre de se défendre contre ces nouvelles créatures mutantes engendrées par la radioactivité. Ainsi, Dong Ho décida de créer son propre clan et Hye Seong lui prêta volontiers son aide. Il n'avait pas été contraint de le sauver et pourtant il avait pris soin de lui. Il avait une dette envers lui, il lui devait la vie, c'est pourquoi il avait choisi de dévouer sa vie à celle de Dong Ho et à ses idéaux.
La Main Rouge vit alors le jour et lorsque Dong Ho ramenait de nouvelles recrues blessées afin de les sauver, Hye Seong réalisa rapidement qu'il possédait des connaissances en médecine. Il avait donc pris l'habitude d'assister les médecins et infirmiers lorsque ces derniers sollicitaient son aide, mais la majeure partie de son temps, il conseillait son ami et s'instruisait sur l'époque d'avant guerre. Il s'assurait également du bien être de ses proches et les conseillait volontiers lorsque ces derniers acceptaient de se confier à lui.
Depuis son amnésie, Hye Seong était devenu plus joyeux, plus taquin, mais plus fourbe aussi. Il avait davantage confiance en lui même s'il lui arrivait parfois de douter de lui, surtout lorsqu'il pétait un câble à cause de ses migraines. il se détestait dans ces moments-là, c'est pourquoi il lui arrivait de s'absenter du clan de temps en temps afin de ne pas blesser ses proches. À cause de ce comportement, Dong Ho lui avait donné le surnom de "Werewolf", puisqu'à l'instar des loups-garous, Hye Seong avait lui aussi sa propre pleine lune qui le transformait. De manière assez ironique, il semblerait que l'amnésie du jeune homme lui avait permis d'être celui qu'il devait être, celui qu'il avait toujours été au fond de lui... Car si Joon Ho ressemblait à sa mère, Hye Seong arborait davantage les traits de son père.