On dit souvent que le temps apaise les douleurs ? Mais est-ce réellement vrai ? Le temps sera-t-il capable de panser les victimes de cette horrible histoire ? Cette histoire qui aujourd'hui n'était plus que de l'histoire ancienne, les semaines s'étant écoulées depuis cet effroyable événement... Peuvent-ils réellement oublier ?

Tu marchais, pied nus malgré le froid qui commençait doucement à refroidir la croûte terrestre sous laquelle vous viviez. Tu marchais dans une tenue, un peu plus chaude qu'il y a quelques mois. Un jean troué ou coupé, tu ne savais trop, au niveau des genoux quelques peu sali par-ci par là, un pull un peu large au niveau des manches dans les tons marron glacé qui était plus fin qu'on ne pouvait le croire. Oui, les temps se faisaient un peu plus frais et annonçait la venue de l'hiver. L'hiver, une saison très froide qui pourtant offrait de merveilleux paysage même sur les terres désolées de Suwon. Des paysages que tu comptais bien admirer dès que les premières neiges tomberont du ciel.

En attendant, c'est l'étable que tu décidas de visiter. Endroit que peu de monde fréquentait hormis l'unité E, tous cavalier et toi. Quand tu ne sortais pas pour explorer les terres désolées, c'est vers l'étable que tu aimais te diriger. Un endroit où tu aimais venir parler, te ressourcer auprès de tes amis comme tu les nommais. Ces êtres en qui tu avais un profond respect, bien plus que pour tes semblables. Ils étaient l'essence même de la nature, une nature que l'homme avait détruit et qui reprenait ses droits depuis quelques années.

Tu arrivas dans ce grand lieu où le langage des animaux étira tes commissures vers le haut. Tu avanças vers ces créatures, caressant et saluant respectueusement chacune d'une voix douce et calme, puis tu t'arrêtas lorsque tes yeux se posèrent sur ce jeune homme aux cheveux noirs. Tu le regardas quelques secondes, détaillant son profil. Il ne te disait rien. Tu approchais doucement tout en commençant à dire « Bonj... », mais tu t'arrêtas alors qu'il manqua de tomber, le retenant par le bras. Etait-il saoul ? « Ça va ? » Tu regardas son visage, ses sourcils étaient froncées, des gouttes de sueur perlaient sur son front et tout son corps semblait trembler sous ta main. Non, il ne semblait guère aller. « Je t'emmène à l'infirmerie. » dis-tu tout en décidant de le porter sur ton dos malgré sa taille et son poids. Trouvant cela bien plus pratique que le traîner en le portant sur une épaule.

La folie des grandeurs. Je sens ma réalité se distordre à mesure que les jours s'enchaînent. Là, recroquevillé contre moi-même dans cette silencieuse agonie, je dors. Mais même quand je dors je vais mal. C'est une douleur indescriptible. Une douleur du corps, une douleur de l'âme. Et ça tangue, ça tangue dans ma tête. Je frissonne, je tremble. J'ai peur de ma propre ombre. Et pourtant, je préfère rester seul dans mon malheur. Porteur de malédiction, j'emplie la pièce d'ondes négatives. Comme une amère envie de tout tuer sur mon passage, de tout détruire sur ma route. Les flammes embrasent mon coeur fatigué. Une rancoeur difficilement contrôlable. Je les hais tous. Je les hais tous d'être insouciants et d'être forts. Ce n'est pas pour moi ça, le bonheur. Comme une terrible envie de crever. Les gouttes de sueur perlant par centaines sur ma peau abîmée et sale. Les cernes qui creusent mes joues déjà si maigres. Les prunelles d'un rouge chimérique et les lippes aux écorchures causées par la sécheresse. J'ai peur. Mais je n'ai pas peur de mourir.

Mon corps convulse depuis quelques minutes déjà. Allongé comme à mon habitude contre la botte de paille, je meurs. Je meurs d'ennui et de tourment. La maladie vient progressivement grignoter tout mon être. Hallucinations. Je gronde dans cette folie qui est la mienne. Ce n'est pas juste de souffrir autant pour des crimes que j'ai été contraint de commettre. Le coup de feu retentit de nouveau dans ma tête. Le sourire désarticulé de notre ennemi au bord de ses lèvres. Son oeil unique détraqué. Sa mine révulsée. Je jette ma couverture de l'autre côté du boxe. La fièvre continue de me déguster. Lever brutal, je tangue violemment vers la sortie. Quittant le confort de la paille. Tout bouge autour de moi, je nage dans un rêve qui me semble parfaitement éveillé. Où suis-je ? Qui suis-je ? La lumière artificielle des étables me déchirent la rétine. Ca fait mal, mais ce n'est rien comparé à cette peine qui envahit tous mes muscles affaiblis par le manque de nutrition. Je tremble encore. Je ramène mes bras contre moi. Mes lèvres aspirent l'air frais par saccades. Chaud et froid en perpétuel combat dans mon corps. Je lève la tête dès lors qu'une silhouette floue s'interpose entre moi et la liberté. Mais je n'ai jamais été libre. C'est juste la folie des grandeurs.

Je ne me souviens plus ce qu'il s'est passé. En ouvrant les yeux, la lumière vive et les murs blancs de l'infirmerie me déchirent la rétine. Je remonte vivement une main sur mes prunelles fatiguées, la fièvre encore au bord des lèvres. Je remarque la perfusion parfaitement installée sur mon poignet. Fait chier. Je tourne la tête sur le côté pour observer la même silhouette de tout à l'heure. Une femme que je ne reconnais pas qui a veillé sur moi le temps de mon réveil. Mais je n'ai jamais demandé à me réveiller moi... Je la dévisage dans ce silence perturbant, dans cette tristesse qui est la mienne. Je vais l'empoisonner à son contact, je vais l'assombrir de mon simple regard. Car je ne vaux plus la peine d'être sauvé.

Une salutation à moitié dite et te voilà légèrement accroupie, essayant de faire glisser ce jeune homme sur ton dos qu'il recouvra entièrement. Te redresser ne fût pas une mince affaire, même si ses joues semblaient creusées, il n'était pas non plus un poids plume. Plus grand que toi, tu essayas tout de même d'avancer aussi vite que tu pouvais jusqu'à l'infirmerie où une infirmière t'aida à l'emmener jusqu'à un lit. Tu reculas pour la laisser mettre la perfusion dont le nom marqué sur la pochette ne t'évoqua rien.

Tu attendis quelques minutes, puis une fois qu'elle eut fini,  tu t'approchas de lui tout en prenant sur ton chemin un tabouret sur lequel tu t'assis. Tu le regardas de façon plus détaillé. Il semblait jeune, mais à la fois vieux. Ses joues creusées, son teint fade, presque blafard même, ses lèvres craquelées ne lui donnaient pas une bonne mine. Il était évident que quelque chose n'allait pas. Est-il malade ? Tu te le demandais. Tu restas silencieuse, à contempler ce visage qui avait pris une dizaine d'année, si ce n'était plus. Attendant le réveil de ce monsieur au bois dormant...

Les minutes filèrent, peut-être même une heure, tu n'en savais point, mais il se réveilla finalement. Comme toute réaction normal lorsqu'on ouvrait les yeux dans un endroit aussi blanc reflétant la lumière accrochée au plafond, il se couvrit les yeux. Un fin sourire releva légèrement tes commissures alors que de ses prunelles sombres semblaient de te dévisager. Tu ne dis rien pendant plusieurs secondes, plongeant ton regard dans le sien puis finalement tu lui demandas :« Tu comptes me regarder comme ça encore longtemps ? » Les jambes croisées, le coude reposant sur l'une de tes cuisses, ta main se recueillant sur ta joue recouverte à moitié par ta longue crinière noire. « Y-a-t'il quelque chose d'étrange pour que je me mérite un tel regard ? » Ta tête ne lui revenais pas ? Il n'aimait peut-être pas les femmes ? Enfin même si c'était le cas, méritais-tu un tel regard. « Es-tu muet ? » Peut-être était-ce le cas et son regard était sa seule façon de s'exprimer ?

C'est douloureux de vivre. Je fais un effort surhumain pour observer ce corps penché sur le mien. Ces genoux croisés, ce coude enfoncé dans cette cuisse, cette chevelure d'ébène qui recouvre ce visage légèrement marqué par le temps. La vie lui va bien, à elle. D'une beauté rarement observée dans ce monde de fous, je me surprends à ne penser à rien d'autre qu'à elle. Qui est-elle ? Que représente-elle ? Serait-elle ma voie vers la rédemption ? Mes yeux fatigués parcourent difficilement chaque parcelle de sa peau sombre. Elle est belle. Elle est à damner. A faire bander le bandit que je suis. Je déglutis. Son regard m'intimide et sa présence m'apaise autant qu'elle me met mal à l'aise. Je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas la remarquer dans l'abri tout ce temps. Elle, si particulière, si belle et si atypique à la fois... J'aime l'originalité. Elle est comme une part de mangue en été, si originale mais moi je suis au régime. Au régime de vie. Asséché par les impétuosités du néant, des ténèbres qui me dévorent et me consument jour après jour. Personne n'a dit qu'une dépression était facile à vivre. Je les hais. Je les hais tous d'aller si bien. Et elle, elle... Je n'arrive pas à la détester. Je n'y arrive tout simplement pas. Car elle m'inspire tout ce à quoi je rêve de mieux dans cette vie de merde.

Ses lèvres se délient, et j'ai comme l'impression d'être dans une autre dimension. Les dents blanches, ses lipes s'agitent. Je ne l'écoute qu'à moitié, reste bloqué dans cette vie parallèle. J'ai envie de l'embrasser. Brûler toutes les étapes. La pousser dans ses retranchements et lui faire connaître l'horreur de ma condition. J'ai envie qu'elle tombe avec moi et qu'elle se nourrisse de mon malheur. Mais elle a raison, je ne peux pas rester muet très longtemps. Et j'ai beau lutter pour retourner dans ma réalité, tout me semble distordu autour de moi. La morphine agit bien sur moi. Déshydraté, déshinibé. Je peux être n'importe quoi pour elle, du moment qu'elle ne me quitte pas. Comme un mollusque accroché à son rocher, j'ai comme envie de me raccrocher à cette femme qui me déroute et me rend confus. L'aventure, le goût du danger, le sang sur nos visages. Elle peut être terriblement plus belle dans le malheur... « Non. » Je relève enfin mon regard fatigué sur le sien profond et sauvage. Je laisse quelques secondes de silence écraser notre fierté, avant de reprendre. « Tu es belle. Es-tu seulement réelle ? » Si elle n'est qu'un mirage, je suis quand même prêt à l'aimer. Car pour elle, j'aurai toujours de l'appétit. Pour une nuit ou pour l'apéritif. Et je la veux plus quand c'est interdit. Ma boisson sucrée, mon additif.

Pourquoi était-il dans un tel état comme s'il semblait avoir abandonné la vie ? Vivant et mort à la fois. Il semblait si jeune et pourtant chaque marque sur son visage semblait le vieillir de plusieurs hivers. Tes yeux le détaillèrent dans les moindres détails. De son front couvert par ses cheveux noirs, ses yeux clos, son nez puis ses lèvres gercés. Tu essayais de l'imaginer en meilleure mine. Il devait être un très joli jeune homme. Séduisant même. Pourquoi une jeune vie comme la sienne était-elle donc dans une telle condition ? Que lui était-il arrivé ? Etait-il malade ? Quel était son histoire ? Tu te demandais bien quel enfer consumait ce jeune garçon pour qu'il soit ainsi.

Tu l'observas silencieusement, attendant son réveil. Un réveil violent pour ses yeux foncés que tu perçus rapidement avant qu'il ne se les protège de cette lumière étincelante vous entourant. Il te fixa de ses prunelles sombres que tu soutins des tiens, tout en faisant le premier pas de lui parler. Trois questions dont la réponse réunit en un seul mot mis un temps à arriver. Non fût sa réponse. Il n'était donc pas muet. Tu ne te ferais donc pas un monologue. Un nouveau silence se posa, mais tu ne cherchas pas à l'interrompre, lui laissant l'opportunité de faire un pas aussi. Un pas qui te surprit, mais qui rapidement te décrochas un petit rire. « Merci de ce compliment. » Drôle de façon d'aborder une conversation ou alors était-ce l'effet de ce produit que contenait cette perfusion à laquelle il était relié ? « Si je ne suis pas réelle, suis-je une illusion ? » Doucement ta main glissa de ta joue pour venir poser ton index sur cette joue creusée. Une manière pour toi de lui prouver ton existence sur cette terre désolée. « Qu'en penses-tu jeune homme?» Tu restas ainsi une dizaine de seconde et ramena ta main à sa place de départ, contre ta joue halée légèrement tiré par ce doux sourire amusé que tu affichas. Maintenant qu'il était réveillé devais-tu appeler l'infirmière pour la prévenir ? Oui, tu devrais faire ça, mais tu pris la décision de ne pas l'appeler pour le moment. Tu avais encore envie de surveiller ce jeune inconnu de l'abri.

Elle est si belle, mais si dangereuse à la fois. Appartenant à cette réalité que je méprise et que je fuis. Je me nois dans la noirceur, je suis dans mon élément. Et elle... Elle est un puits de lumière sans fin et elle me tue, elle m'illumine de son énergie vitale. Je n'ai aucune idée si c'est cela qui la rend si attirante. Si, une fois qu'elle perd de sa clarté, elle ne devient plus qu'une femme parmi tant d'autres. Une femme qui me ressemble tout comme l'inverse. Le bonheur semble tellement simple avec elle. Inconnue aux allures bohèmes. Mon Esmeralda. Parfaite illusion de tout ce que je n'aurais jamais. Mais j'ai peur de m'approcher de son soleil. Peur de cramer mes doigts et que les ténèbres qui m'habitent s'évaporent. J'ai peur d'être vide de sens, peur d'être encore plus seul que je ne le suis maintenant. Dans la pénombre, je vis avec mes démons. Ces petites voix qui s'efforcent de me dire que rien ne vaut la peine d'être vécu. Ces petites voix qui, au fond, ne me permettent pas de devenir fou. Et les flashs de ces visages déformés par les flammes, par le sang et les larmes transcendent mon esprit. Si. Si, putain, je crois devenir fou.

Et tandis que mes pensées obscurcissent ma vision, je ne vois même pas venir cette main sur ma joue creusée et osseuse. Cette caresse a eu l'effet d'un coup de fouet, d'une claque même sur mon épiderme et je sursaute violemment, tous mes membres se contractant. Mais je me fige, je reste de marbre, sentant progressivement cette lumière pénétrer mes pores. Ca fait si mal, ça me brûle. Depuis mon retour de l'enfer, je ne pouvais pas supporter qu'on me touche. Même mon Esmeralda ne peut prendre ce risque. Plus que de souffrir de cette lumière qui l'irradie, je crains de l'empoisonner de ma noirceur. Douce ironie, alors que quelques minutes plus tôt, j'étais plutôt curieux de savoir ce que ça lui ferait d'être comme moi. Un corps qui survit plus qu'il ne vit. Oh oui, qu'elle serait belle dans le mal. Mais il n'en est rien. C'est comme si elle était immunisée contre le malheur. Et elle semble mériter toute la bonté du monde. Mon parfait opposé. Et pourtant, dans ce contact surprenant mais chaud, je ne peux que lui confirmer qu'en effet, elle est loin d'être un mirage. Cette main qui reste fermement appuyée contre ma joue, alors que je commence à trembler sous mes draps. « N-Non... » Les mots me manquent. Je me sens soudainement bouleversé. Sa présence occulte toutes les autres, je ne fais même plus attention à toutes ces personnes qui travaillent autour de nous. Parce qu'il n'y a plus qu'elle et moi dans ma tête. J'aimerais tellement qu'elle vive tout ce qui me traverse l'esprit. Cette douleur, ces multiples aiguilles, cette détresse qui m'habite. Et je la regarde, je l'observe, je la contemple. Incapable de savoir ce qui peut bien nous unir. « Pourquoi... tu es encore ici ? » Pourquoi semble-t-elle vouloir s'accrocher à une pomme pourrie ? Pourquoi s'entête-elle à me torturer de la sorte ? Pourquoi ?... Pourquoi est-elle d'une beauté à damner...

À ses yeux, tu ne semblais pas réelle. Illusion ou rêve, lequel de ces deux états étais-tu ? Ni l'un, ni l'autre. Tu étais bien là en chair et en os. Ce que tu voulais lui prouver en portant ton index sur cette joue creuse. La pression de ton doigt se fit légère. Tu n'avais guère envie de sentir sa gencive, ses dents sous celui-ci et te sentir davantage mal pour ce jeune homme. Tu le sentis sursauter. Lui avais-tu donné une petite décharge électrique ? Après tout, tu portais un pull avec l'électricité statique c'était tout bonnement possible. Mais dans ce cas-là n'aurais-tu pas ressenti quelque chose toi aussi ? Tu ne comprenais pas sa réaction. Cependant, tu ne cherchas pas à le savoir, le beau au bois dormant ne semblait pas vouloir beaucoup converser. Ce n'était pas grave. La parole n'était pas le seul moyen de communication. Les yeux l'étaient également. D'ailleurs ceux de cet homme semblait dire beaucoup de choses, mais il t'était difficile de tout discerner. Cela ressemblait à un abîme sans fin.

Tu étais bien réelle et une fois qu'il le comprit tu décidas de retirer ce doigt de cette joue pour reprendre ta position d'observation d'origine. Ta paume contre ta joue, tandis que tes doigts se plièrent légèrement. « J'attendais que tu décides de me montrer tes beaux yeux.» Ce qui était fait, alors pourquoi donc n'étais-tu pas partie et prévenue une infirmière de son réveil ? Bonne question... Tu ne le sais toi-même pas. Juste envie. Dans le fond est-ce que tout peut être justifié d'une façon ou d'une autre ? N'existe-t-il pas des moments où il ne faut pas chercher à comprendre le sens ou le pourquoi du comment ? Oui pourquoi étais-tu encore là, à l'observer non pas comme une bête curieuse, mais comme une âme qui semblait avoir besoin d'aide. Même si tout son être semblait dire le contraire. « Partir directement après t'avoir emmené jusqu'ici n'est pas du tout mon genre.» Non toi tu veillais jusqu'au bout sur les vies que tu aidais. Cela était naturel. Tu marquas un temps de pause pour continuer à observer silencieusement ce visage, plonger ton regard dans le sien qui ne cessait de te fixer.« Dois-je appeler une infirmière et te laisser te reposer un peu plus ?» Automatiquement, tes yeux cherchèrent une infirmière prête à appeler une fois sa réponse donnée.