Les bruits de respiration de l'intruse sont à peine perceptibles dans le silence de la prison. La jeune femme n'a jamais réussi à s'infiltrer aussi loin à l'intérieur de la forteresse, abritant les quartiers généraux de la Main Rouge. C'est bien la première fois et c'est pour cela également que son coeur bat la chamade comme celui d'une enfant venant d'accomplir quelque chose de strictement interdit. Tel un chat sauvage caché sous les roues dune voiture et feulant à chaque passage d'intrus, Lia est dissimulée dans les anciennes canalisations d'eau de la prison. Elles n'ont clairement pas été utilisée depuis des décennies et ont des relents de pourriture, de cadavres en décomposition et de mort. Pas de quoi paniquer la leader de l'unité D de l'Abri mais assez pour la dégoûter et la forcer à remonter le châle noir qu'elle porte toujours autour de son cou sur son nez tellement l'odeur est insupportable. Cependant, le jeu en vaut la chandelle. C'est à la fois l'appel de l'abondance d'armes gardées par la Main Rouge ainsi que le désir inextinguible de retrouver l'homme ayant gâché sa vie afin de se venger. Son objectif n'a pas changé depuis toutes ces années malgré ses proches tentant de l'en dissuader.

Lentement, la jeune femme se tortille pour sortir de sa cachette. Il n'y a pas âme qui vive à l'horizon, ce qui n'est pas pour la rassurer. Où sont-ils tous passés ? Elle a atterri dans un couloir au hasard. Toutes les portes sont closes. Il n'y a personne à première vue. Lia se détend sensiblement. Elle a laissé son arme principale à l'Abri, optant à la place pour un large couteau incurvé qu'elle a trouvé par miracle sur le chemin. Il est un peu rouillé et la lame n'est pas la plus aiguisée mais il peut quand même se révéler meurtrier. Soudain, elle entend des pas provenant du fond du couloir, derrière elle. Elle se précipite alors dans un recoin sombre où elle se trouve complètement dissimulée. Un homme passe à grandes enjambées. Elle le dévisage de sa cachette. Grand, même par rapport à elle qui dépasse de loin la moyenne féminine en Corée, le profil effilé et les cheveux noirs. C'est tout ce qu'elle a le temps de discerner avant de le voir disparaître au tournant du couloir. Sans attendre, elle s'extirpe de son recoin sombre, resserrant son emprise autour de la lame mortelle. Elle suit l'homme dont les pas ne résonnent déjà plus. Enfin, elle emprunte le tournant du couloir et laissé échapper un petit cri de surprise en découvrant l'homme qui l'attendait au tournant.

C'était une soirée calme où seul à quelques moments rares, des éclats de voix se faisaient entendre. Il n'y avait pas de couvre-feu à la prison, pourtant ce soir, il semblait que les membres du clan étaient tous fatiguées cette nuit-là. Des gardes étaient néanmoins toujours présent mais à moindre nombre, Dong Ho leur avait permi un peu de repos. Ce dernier avait passé la plupart de l'après-midi et de la soirée dans son bureau à traiter paperasses et plaintes, à organiser des explorations et des missions, tout ce genre de boulot que personne n'apprécie, pas même lui. Il sortit enfin, las, fatigué et l'envie de dormir bien ancrée sur ses paupières lourdes. Il marchait dans les couloirs silencieux, s'aventurant dans les allées pour enfin rejoindre sa chambre.

Une odeur désagréable vint perturber ses narines, elle semblait similaire à celle de l'eau des égoûts. Une sensation étrange aussi que quelqu'un était là s'imposait en lui. Etait-il entrain de s'imaginer des choses maintenant qu'il était bien fatigué ou si cette impression était dûe à une situation réelle. C'est alors qu'il passait le tournant du couloir qu'il décida de s'arrêter pour savoir s'il fabulait ou non. Et si ce n'était pas le cas, la personne qui s'avancerait vers lui était incensée puisqu'elle aurait dû se fier au bruit stoppé net de ses pas. Et il ne s'était pas trompé. Des talons claquèrent le sol froid, il y avait bien quelqu'un. Accoudé au mur gris, les bras croisés, il savait qu'il allait pouvoir jouer de la surprise au départ. Néanmoins, il se redressa directement alors que la personne criait de stupeur. Il lui fallait rester sur ses gardes,  notamment qu'il n'était présentement pas armé, comparé à cette inconnue. « Félicitations pour avoir avancé aussi loin. » Il soupira et s'approcha légèrement pour la dominer de son regard noir. « Qui es-tu et que viens-tu faire ici ? » A vrai dire, cette femme avait de la chance. Dongho était fatigué, et d'humeur calme. Dans d'autres situations, il aurait pu lui claquer le visage contre le mur par simple réflexe quand elle aurait passé le tournant.

La stupeur est visible sur son visage lorsque Lia se retrouve face à l'homme gigantesque. Comment a-t-elle pu se faire si facilement avoir ? Ce n'est pas dans ses habitudes. Rapidement, les mains déjà croisées derrière son dos, elle dissimule sa lame de fortune dans la manche de son haut, gardant la pointe de la lame au creux de son poing fermé, bien qu'elle soit parfaitement consciente que cet homme ait déjà vu l'arme. Tant pis. Elle relâche ses mains, les deux poings résolument fermés, l'air de rien. Autant qu'il croit qu'elle a caché l'arme dans son dos. Lia ne bouge pas. Elle ne fait pas de pas en arrière et recouvre très vite son calme. Elle soutient son regard mais semble parfaitement innocente, comme si elle connaissait bien l'endroit alors qu'elle était bel et bien perdue — foutu dédale d'égouts. Rien du tout. Je n'ai plus le droit de me balader ? demande-t-elle d'une voix fluette. Pour être honnête, je cherche quelqu'un mais pas moyen de le trouver. Elle incline la tête et soupire, comme si elle se sentait vraiment concernée. Puis, elle hausse les épaules et fait mine de reprendre sa route.

Au fait ! s'exclame-t-elle avec un sourire un peu trop joueur — sa grande faiblesse et ce qu'elle tente de ne pas inculquer à Yeonwoo — en se retournant vers lui. Il y a une drôle d'odeur dans ce couloir, vous ne trouvez pas ? Bonne journée ! Puis elle se détourne et s'éloigne d'un pas vif, restant cette fois néanmoins aux aguets du moindre bruit provenant de derrière elle. Avec un peu de chance, il laissera tomber l'affaire et retournera vaquer à ses occupations, ou suivra l'odeur qui provient de la bouche d'égout qu'elle a ouvert et non pas d'elle.

Cette femme était-elle inconsciente ? Bien qu’il ne connût pas forcément tout le monde, Dong Ho avait une bonne mémoire visuelle et jamais il ne l’avait vu traîner dans les remparts de la Main Rouge. Elle semblait traficoter quelque chose derrière son dos. Dong Ho se méfiait et restait alors bien attentif à ses moindres gestes. « Non tu n’as pas le droit. » Puis elle puait, c’en devenait écœurant. En tout cas, Dong Ho savait désormais qu’il fallait faire surveiller les égouts. Le boss garda son air froid, les sourcils un peu plus froncés qu’à la normale, il ne comptait pas se faire duper, ça non. « Et c’est qui, cette personne ? »

L’inconnue jouait avec le feu en le provoquant ainsi. Surtout que c’était elle qui puait. Bref, elle n’allait pas s’en sortir comme cela. Alors qu’elle rebroussait chemin, Dong Ho se mit automatiquement à la suivre, se fichant bien qu’elle comprenne qu’il était derrière elle, après tout, il voulait qu’elle sache qu’il allait lui faire payer son affront. « Arrête-toi ! » Il l’attrapa par l’épaule pour la retourner vers lui et la plaquer fortement contre le mur. « Dis-moi qui tu es et ce que tu viens faire ici réellement ! » ordonna-t-il, agacé par cette intrue qui se pensait tout permis. « Tu ne ressortiras pas ici indemne. » Il avait beau réfléchir, toujours en observant son visage, il ne la reconnaissait pas, elle ne faisait donc définitivement pas partie du clan. « Tu pues. »  Il laissa un blanc passer, toujours gardant son emprise sur elle. « Ton arme. »

Lia s'éloigne au plus vite tout en s'efforçant de paraitre aussi naturelle que possible. Elle fait un mouvement des bras à l'avant de son corps, dissimulant la lame qu'elle tenait dans sa main. Elle compte les pas lui restant pour disparaitre au coin du couloir. Mais la voix forte du leader de la Main Rouge la fait tressaillir. Elle s'arrête sans rechigner mais qu'elle ait choisi d'obéir ou non, il la plaque contre le mur. Elle serre les dents mais ne peut retenir un gémissement dû à la douleur soudaine qui l'a parcouru à ce moment-là. Néanmoins, il l'impressionne à peine et elle le fixe intensément. Le regard de Lia ne quitte pas le sien une seule seconde, le défiant en silence. Je cherche Jung Hye Seong, réplique-t-elle, obligée de se mordre l'intérieur des joues pour s'empêcher de l'insulter, quoi qu'il a certainement déjà compris qu'elle n'était pas des leurs. Tout à coup, une idée qui lui avait paru phénoménale et amusante à l'abri lui parait être mortelle et trop dangereuse tout d'un coup. Trop tard. Elle est comme ça, Lia. Elle ne réfléchit pas assez quand il s'agit de sa propre sécurité. D'ordinaire, en exploration, la sécurité du groupe passe avant la sienne mais actuellement, elle est seule. Son coeur se serre en sachant qu'elle dénonce Hye Seong pour se sauver la peau mais elle sait qu'il la pardonnera.

Voilà les menaces. C'est exactement ce qu'elle attendait pour agir. Le signal qu'elle doit s'enfuir le plus vite possible et par tous les moyens. Alors qu'il lui demande son arme, elle lui adresse un sourire mauvais. Laquelle ? A l'instant même où elle prononce ces mots, elle lui décoche un puissant coup de pied dans l'entrejambe, se souciant au final peu de si elle lui fait vraiment mal ou non. Sans s'attarder, elle le repousse. Mais sa première erreur, elle la commet au moment où, au lieu de s'échapper, elle se retourne pour regarder l'état dans lequel elle l'a mis, avant d'enfin se détourner et fuir par là où elle est venue.

Elle n'avait pas peur de lui et tant mieux d'un côté. Rien n'aurait plus énervé Dong Ho qu'une personne n'assumant pas ses actes et se pissant dessus après s'être fait capté. Cette femme avait de l'audace, sans doute un peu trop pour agir avec conscience et raisonnabilité. Tant pis pour elle. Elle finirait en pâture pour les goules... Du moins, si un imprévu ne se déroulait pas entre-temps. Dong Ho, bien que confiant en ses aptitudes, ne sous-estimait que très peu ses adversaires. Il avait appris avec l'expérience que parfois, certains savaient cacher de surprises peu plaisantes. Et d'ailleurs, il avait la ferme impression qu'elle cachait une arme. Dong Ho lui avait demandé qui était la personne qu'elle recherchait, mais la réponse donné eut l'effet d'un électrochoc. Pourquoi Hye Seong ? Pour quelle raison ? Etait-il lié à une ennemie ? Lui qui était présentement absent pactisait-il avec... avec leurs ennemis ? Le trahissait-il, lui aussi, comme l'avait fait Heisuke et le père de Ra On jadis ? « Pourquoi ? Tu lui veux quoi ? »

Alors qu'il lui demandait son arme, toujours aussi dérouté, son emprise fut moindre et son attention tout aussi peu minutieuse. Il ne vit pas le coup partir mais sentit bien la douleur s'élancer sur son entre-jambes. L'envie de l'insulter était forte mais la douleur crispa son visage le temps de quelques secondes. Il fallait s'en remettre alors peu de temps après il essaya au mieux d'y faire abstraction bien que cela restât douloureux. Il n'allait tout de même pas la laisser partir ou profiter de ce spectacle longtemps, et c'est pourquoi il lui décocha une droite sortie de nulle part sur sa joue. Qu'il enlaidisse son visage de femme ? Il n'en avait cure. Cette inconnue était devenue laide dès qu'il comprit que ses intentions envers le clan étaient mauvaise. « Pourquoi tu cherches Hye Seong ? » reprit-il en haussant la voix. Toujours troublé, un bruit de pas au loin détourna son attention le temps d'une petite seconde... Une seconde peut-être de trop.

Tu aurais mieux fait de courir, Lia, se dit-elle, au lieu de succomber à la tentation de regarder ton oeuvre. Malheureusement, elle n'a pas le temps de changer d'avis et de tourner les talons car le coup la met presque KO. La douleur lui transperce la tête tandis qu'elle titube. Elle ne tombe pas mais voit des étoiles et a du mal à focaliser son regard sur quoi que ce soit. A nouveau, elle est à la merci de cet homme horrible. Elle ne sent plus sa mâchoire ni sa tête en général et doit appuyer son épaule au mur pour empêcher ses jambes de la lâcher. Elle lève les yeux sur lui lorsqu'il prononce le nom de son ami d'enfance et le fixe avec une hargne palpable.

Demande-lui toi-même, bâtard. Sans attendre ni se soucier de sa manière de parler, elle laisse la lame dissimulée dans sa manche glisser jusque dans sa main et, en une demi-seconde, la plante violemment dans la chair de l'homme qui se tient face à elle. Elle entend la lame d'acier transpercer la peau, puis la chair, s'enfoncer dans le muscle tandis qu'elle s'appuie de tout son poids contre lui pour que la lame s'enfonce jusqu'au manche. Y mettant toute sa force, elle fait tourner la lame dans son ventre. Crantée et rouillée, il ne s'en remettra pas de si tôt. Lia pousse l'homme en arrière et cette fois, elle tourne les talons et fuit sans se retourner. Elle ne veut pas attendre sur place comme la première fois. La Main Rouge dans son entièreté risquerait de lui tomber dessus et elle sait dors et déjà qu'elle n'en ressortirait pas vivante. Alors sans un bruit, laissant l'homme souffrir par terre, elle s'engouffre à nouveau par les égouts.

Il s'était laissé aller, piqué par sa curiosité coléreuse, il avait laissé ses défenses ouvertes et offert une très bonne opportunité à cette inconnue pour le mettre k.o. Et c'est ce qu'elle fit. En l'espace de quelques secondes seulement, elle profita de la déconcentration de Dongho pour planter dans sa chaire une lame crantée qui s'enfonça avec force et peine. Un grognement de douleur sorti incontrôlable d'entre les lèvres fines du Boss de la Prison. Alors qu'elle semblait s'amuser à tourner et retourner la lame dans sa chaire sans doute déchiquetée maintenant, Dongho ne manqua pas de garder son regard ancré dans le sien. Il n'avait toujours pas peur – après tout la douleur prenait le dessus. Mais il lui faisait bien comprendre qu'il n'allait pas crever ainsi et qu'il vallait mieux pour elle qu'elle fasse tout pour qu'il ne se venge pas. Le grand brun se laissa pousser, posant directement sa main sur l'arme pour ne pas qu'elle sorte de la blessure. Si elle n'y résidait plus, il signait sa fin dans les secondes qui suivaient. Les genoux au sol, il se releva comme il pouvait. Il laissa la femme filer – après tout, il se savait incapable de le faire.

Des perles de sueurs coulaient déjà sur son visage pourtant gelé. Il longeait les murs, priant pour tomber sur une chambre habitée rapidement. Et fort heureusement pour lui, il arriva à celle de Ren – qui comme à son habitude, ne dormait pas encore. Dongho s'écroula. Réactif, le jeune homme le porta jusque l'infirmerie pour qu'il se fasse opérer.



Et malheureusement pour cette femme, même si ce fût compliqué et long, Dong Ho était en vie.