J'ai l'impression que mon âme va quitter mon corps tellement je suis fatigué. Faible, déshydraté, sous-alimenté, je m'en veux encore d'avoir voulu passer par les roches friables pour gagner du temps. Résultat des courses: je suis resté coincé dans une crevasse pendant presque quatre jours. A crier pour qu'on puisse m'entendre et me délivrer. Le premier jour, ça allait. J'avais encore toutes mes forces. Et puis après j'ai réfléchi. Et si c'était un membre de la Main Rouge qui m'avait retrouvé ? Oui, je n'ai pensé qu'à eux car les Veilleurs sont bien plus accueillants qu'eux. J'ai arrêté d'appeler au secours à partir du moment où la menace du clan adverse m'avait convaincu de me la fermer. Je me suis cru condamné. Souffrant le martyr à cause de mon entorse à la cheville. J'ai bien essayé de mettre la main sur mon sac à dos qui est resté en haut. Je voyais la bretelle d'où j'étais, mais j'étais trop petit pour l'atteindre, même avec une branche. J'ai commencé à accepter mon sort, à économiser mes forces, jusqu'à cet instant où ce à quoi je m'attendais le moins arrive.

Je n'aurais jamais misé ma vie sur un animal. Encore moins sur un cheval défiguré. Cet étalon inspire la peur et l'effroi. Ses yeux, aussi brillants sont-ils, percent tout en moi. C'est comme s'il savait me lire comme dans un livre. Comme s'il me comprenait, qu'il communiquait avec moi. Il a poussé avec son sabot le sac pour qu'il tombe dans la crevasse. Et puis, j'ai réussi à me sortir de là, amaigri et blessé. Mais il n'est pas parti pour autant, ce cheval. J'ai cette forte impression qu'il n'a attendu que moi dans toute sa vie. Je ne refuse en rien la générosité ingénieuse d'un animal qui s'est montré bien plus digne de confiance qu'un être humain. J'ai grimpé tant bien que mal sur son dos, mon sac à bout de bras, et je l'ai guidé jusqu'à l'abri. J'en vois d'ailleurs la porte blindée. Des vagues de chaleur envahissent mon corps fatigué. Je tangue. Je garde difficilement l'équilibre sur l'équidé. Mais je la vois. La porte blindée. Les sentinelles sont déjà aux aguets, menaçant. Mais ce n'est que moi, et je crois qu'ils m'ont reconnu pour qu'ils ne tirent pas. La créature s'arrête à quelques pas de l'entrée, silencieuse. Je souffle, la chaleur m'écrase. "Prévenez Moon Luan... Faites ce que je vous dis c'est tout..." Je jette mon sac à dos sur le côté, pour ensuite glisser du dos de l'animal et de m'écrouler au sol en me réceptionnant très mal. J'ai l'impression d'avoir fait tout ce chemin, tous ces efforts pour rien. Est-ce que je vais mourir ? C'est ça qu'on ressent quand tout est vide ? Je suis néanmoins sûr d'une chose: mon frère va me tuer si je ne clamse pas avant.