C'est dans un sursaut que je me réveille, alors que je me suis assoupi sur mon bureau, accoudé contre celui-ci. La pile de dossiers que vient de me déposer le chef du département en dit long sur ce que je vais faire ce soir: je suis de surveillance à l'infirmerie, en service de nuit. Je n'ai pas réussi à bien dormir la nuit dernière, à cause de la rentrée de mission d'une des unités de l'abri. Ils étaient revenus avec un homme blessé sur les bras, et très honnêtement s'ils étaient revenus plus tard, l'inconnu n'aurait plus jamais ouvert les yeux. Une aubaine que j'étais de service ce jour-là, ma vitesse légendaire en terme d'opération l'a tiré d'affaire. Maintenant, il se repose sur un des lits de l'infirmerie. Je peux le voir depuis mon bureau, juste derrière les dossiers qui jonchent mon plan de travail. Je tourne mon regard vers cet homme assoupi. La dernière fois qu'on a pris ses constantes, Ha Neul m'a dit qu'il allait bien. Mais comme je suis de surveillance ce soir, ce sera à mon tour de l'ausculter.

Mes lunettes rondes au bout du nez, je termine de rédiger et signer les derniers dossiers que mon chef m'a donné. Ca m'a pris une bonne heure, sans pause, pour tout boucler. Je suis plutôt appliqué dans mon travail. Je rechigne au début, mais les gens n'auront jamais à s'inquiéter en ce qui concerne mon assiduité au travail: je respecte toujours les délais. Mon chef sera content. Au petit matin, il retrouvera sa jolie pile rangée par ordre alphabétique sur son bureau. J'en sors d'ailleurs, me tapotant les mains pour signifier que je suis enfin débarassé de cette "corvée". Je passe au milieu de quelques lits occupés. Des explorateurs en convalescence, des ouvriers de l'abri sur la voie de la guérison... Bref, rien de bien transcendant. La routine quoi. C'est alors qu'un bruit sourd parvient à mes oreilles. L'inconnu de la veille. Je me tourne vers lui et m'approche calmement, pour ne pas le brusquer. Il s'est enfin réveillé de son opération, il a l'air de ne pas trop savoir où il est. "Bonsoir... Hum, je te déconseille de trop bouger, les sutures risquent de sauter." Après tout, l'extérieur ne l'a pas loupé. Je sors ma petite lampe torche pour examiner la réactivité de ses pupilles, puis je me redresse et observe ses constantes sur l'écran. "Tu dois avoir un ange qui veille sur toi, tu as eu beaucoup de chance."

Le monde était flou, pourtant tout lui paraissait plus gris que d'habitude... Plus terne, moins... Ensoleillé. Le brun n'arrivait à définir aucune forme, bien qu'il tournait le visage dans tous les sens, que ses yeux se perdaient vers n'importe quel recoin, il ne comprenait pas où il était et ne pouvait rien voir de correct. La panique prenait part de lui. Soudain, la vue lui redevint clair et le choc de ce qu'il vît le fit se redresser brutalement, chose qu'il n'aurait pas du faire. Une vive douleur empoigna son tronc entier, le faisant gémir. Soo Hyun se laissa retomber, une perle de sueur s'échappant de la lisière de son front. Il se rappelait maintenant ce qui lui était arrivé. Il explorait une grotte qui l'avait mené à une cavité souterraine. Cependant, le sol était friable et celui-ci s'effondra sous ses pieds, le faisant tomber dans une repère de rataupes. Et autant dire que celles-ci étaient bien développées. Se sentant attaquées, les créatures l'ont poursuivie – encore aujourd'hui, il maudit ces créatures d'avoir été aussi entreprenantes. C'est-à-dire qu'il les savait aveugles, alors penser qu'une d'entre elles avait réussi à le rattraper, son ego n'aimait pas cela. Et c'est alors qu'il trouvait enfin une sortie que l'une d'entre elles planta son énorme griffe dans son ventre, près de sa cage thoracique, mais un peu en dessous, Soo Hyun réussit à la tuer. Il ne saurait même plus dire comment tellement tout était effectué sous la panique puis avec le peu de force qui lui restait, il courut le plus loin possible, un trou trop grand pour qu'un être humain puisse normalement survivre dans le ventre. Il s'effondra.

Et désormais, il se réveillait dans cet endroit inconnu, dont l'odeur étrange lui rappelait celle de cet hôpital à l'époque, quand une fois il s'était foulé la cheville et qu'il avait attendu qu'on le soigne. Cette odeur, il la haïssait, parce que cela lui remémorait aussi qu'on l'avait alors congédié, lui et ses parents, parce qu'ils n'avaient pas l'argent pour le soigner, et qu'alors, son père lui avait fabriqué une atèle de fortune. Soo Hyun devait sans doute être destiné à vivre une vie de misère toute sa vie. Une personne, plus jeune que lui vu son apparence, homme ou femme il ne pouvait dire avant qu'il ne parle, vint vers lui pour tenter de le calmer. Soo Hyun observa plus minutieusement les lieux. Serait-il dans ce lieu que l'on nomme abris ? Ce lieu pour les privilégier ? Que faisait-il là, lui, le pauvre ? Sa main se posa machinalement vers l'endroit soigné tandis qu'il se laissa faire docilement par cet inconnu bien que la lumière aveuglant ses pupilles n'aient pas été très agréable. « Où suis-je ? » demanda-t-il d'une voix cassée mais loin d'être sèche ou sur la défensive. Soo Hyun n'était pas idiot, il venait sans doute de se faire soigné, il était en position de faiblesse, il fallait être aimable et chose qu'il détestait plus que tout, redevable. Soudain, il tilta sur le mot suture qu'il avait entendu plus tôt. « J'ai été opéré ? » Cette putain de taupe l'avait si mochement blessé ? « C'est toi qui m'a opéré ? » Après tout, il voulait savoir à qui il devait des remerciements et s’acquitter d'une dette, parce qu'il n'aimait pas vivre avec ça sur le dos.

Comme je m'y attendais d'une personne extérieure à l'abri, l'homme alité commence immédiatement à s'agiter, à poser des tas de questions. C'est devenu une habitude pour moi ici: à chaque fois qu'une équipe d'exploration revient avec des bras en plus à soigner, on a toujours droit à une sorte d'interrogatoire musclé. Mais je peux le comprendre. Il ne sait pas où il est, l'extérieur est un lieu de doute et de méfiance où chacun a l'opportunité de planter un couteau dans le dos d'un autre. Alors cette détresse, cette incompréhension de la part de mon patient, je ne peux que la ressentir. J'ai envie de le rassurer, mais on me dit toujours que je suis nul pour ça. Au lieu de ça, je me concentre sur son état de santé. Il se remet bien de l'opération et si tout va bien, il n'aura pas à prendre beaucoup de médicaments avant de retourner dehors - à moins qu'il rejoigne l'abri -. Mais il devra rester avec nous quelques temps, car la plaie n'est vraiment pas belle. Très profonde, malgré qu'elle soit propre. Je range ma petite lampe dans la poche de ma blouse blanche, puis je hoche la tête aux questions de l'inconnu. "Oui, c'est moi qui t'ai opéré. Mais ce n'est qu'un détail, tu es en vie." Et je le répète, il a eu une chance folle. Ce n'est moi qu'il doit remercier en vérité, mais plutôt l'unité qui a su le ramener à temps par ici. Notre générosité nous tuera peut-être un jour, mais c'est plus fort que nous: on ne peut pas s'empêcher de ramener à l'abri tous les blessés qu'on trouve. On veut prouver que nous sommes gentils, peut-être. Et la Main Rouge pourra toujours se torcher avec leur cruauté à deux balles, ils ne survivront jamais sans coeur et compassion.

"Tu vas mettre du temps à cicatriser, donc je pense que tu passeras un petit séjour à l'abri." Je lui annonce cela sans la moindre amertume, plus un discours que j'ai su apprendre au fil du temps. Ces instants-là ne sont pas rares et généralement, les rescapés qui sont majoritairement solitaires finissent par rejoindre nos rangs. C'est le cas de Jae Ho qui, après avoir fui la Main Rouge, s'est retrouvé seul quelques temps avant qu'ils ne le retrouvent pour le passer à tabac. Aujourd'hui, il est à l'abri. Ce n'est pas le seul exemple, évidemment, mais c'est celui que je connais par coeur, car j'ai du passé avec lui. Un passé que je n'arrive pas à oublier. Je pousse un petit soupir et tire un petit tabouret à roulettes vers le lit du blessé, m'asseyant dessus pour le border. "Je peux être ton ami si tu veux. Tu sais, genre, comme une personne à qui parler, si tu as besoin." Il est tout seul ici, je me doute bien qu'il ne connait personne dans l'abri. Comme je suis son médecin, il est naturel pour moi de lui proposer ça. Mais qu'il ne croit pas que je le prends en pitié, car ce n'est pas du tout le cas.

Sa tête était lourde, sa nuque avait du mal à la maintenir droite. Alors il abandonna, la lâchant contre l'oreiller douillet... vraiment douillet du lit. Ces gens là vivait dans un confort hors du commun, ils ne pouvaient se rendre compte de la dure loi qui régnait au dehors. Et pourtant, Soo Hyun ne les enviait pas du tout. Il vivait dans la réalité, au moins, lui. Alors qu'ici, ils vivaient dans une sorte d'illusion de sécurité, mais ça ne dure jamais bien longtemps et dans l'histoire de l'humanité, dix-sept ans ce n'est absolument rien. Ils n'étaient pas prêts. Même ces explorateurs puisqu'ils avaient toujours l'habitude de retrouver leur confort. L'inconnu lui confirma que c'était bien lui qui l'avait opéré. Il avait l'air jeune, cela perturbait le solitaire. « Merci quand même. » Il y tenait, à payer sa dette. Et bien qu'un simple remerciement ne suffisait pas, c'était au moins le début. Quand il sera apte à se déplacer, il irait voir l'équipe qui l'avait ramené dans cette pièce à l'odeur exécrable mais qui l'avait maintenu en vie.

Sa gorge sèche le gênait, il avait soif mais était incapable de demander de l'eau, par fierté. Puis l'annonce soudaine du médecin eut l'effet d'un choc. « Je peux pas partir maintenant ? » Pourtant il le devait, rejoindre son coach pour ne pas qu'il angoisse, pour veiller sur lui aussi et son mental faible. Puis il devait gagner sa vie, chercher des objets, les échanger... il allait suffoquer ici. « Même pas sortir un peu ? » Juste voir le soleil, ou la pluie qu'importe, le ciel ! Il soupira, encore plus déprimé qu'à son réveil. Il allait s'ennuyer ferme, le temps allait passer trop lentement. Néanmoins l'inconnu lui proposa de devenir ami. Soo Hyun n'avait pas vraiment grand chose à dire, du moins pas à une personne qu'il ne connaissait pas, cependant, il n'allait pas rester fermé à la conversation. « Okay. Si je ne connaissais pas Mahala je me dirais que vous seriez tous des vampires ici. » Ils étaient tellement pâles pour la plupart, c'en était frustrant. Mais c'était plutôt pour parler de quelque chose qu'il abordait ce sujet, parce que ce n'était pas forcément une spécificité de l'abris, il en avait vu d'autres, des blancs comme cul. Mais bon, au moins ils avaient pas sa couleur de peau à lui. « Je m'appelle Soo Hyun au fait, et toi ? »

Je n'ai jamais réellement compris pourquoi les gens de l'extérieur tiennent tant à retourner dehors. Dehors, c'est dangereux. Les créatures mutées pullulent de partout, l'occasion est trop belle pour être trahi par le premier venu. J'ai toujours eu cette impression que là-haut, le seul moyen de survivre est de ne compte que sur soi-même. Et c'est là que je me dis, encore et toujours, que l'être humain est profondément égoïste. Un trait de caractère que je ne supporte pas... Soo Hyun ne me semble pourtant pas ainsi. Il m'a remercié de l'avoir sauvé, je peux voir dans son regard qu'il est sincère. Tout comme son désir de retourner dehors l'est aussi. Malheureusement, il va devoir réfréner ses envies, car il est présentamment trop mal en point pour qu'on le libère dans la nature. Je secoue légèrement la tête. "Pas pour l'instant, tu dois rester alité le temps que ta plaie cicatrise." Après, je me dis qu'il pourrait se faire escorter en chaise roulante dehors. Nous avons le droit de réclamer quelques minutes, voire heures devant la porte blindée. Histoire de cueillir des plantes, des fleurs, ou que sais-je encore. Si Soo Hyun tient vraiment à voir le soleil, je ne pense pas qu'on lui refusera ces quelques sorties provisoires, avant le retour à la liberté.

"Tu connais Mahala ?" Dès que j'ai entendu le prénom de la chef d'unité, je n'ai pas pu m'empêcher de réagir du tac-au-tac. Moi aussi je la connais, normal on vit à l'abri tous les deux. Elle est particulière cette femme, car elle s'entête tout le temps à vouloir rester avec moi lorsque je suis seul. Ses deux frères par contre, ce sont de vrais petits cons. Ils n'en ratent pas une pour me critiquer juste parce que je suis le fils de la Superviseure. C'est injuste, je n'ai rien demandé moi. Je soupire, de nouveau éteint après cette surprise, avant de m'accouder sur le bord du lit pour plonger ma main dans mes cheveux blonds. "Hum... Je suis Lu Han. Enchanté Soo Hyun." Je relève mon visage vers l'intéressé. Je me demande comment il connait Mahala. Sûrement pendant une mission d'exploration de cette dernière. Mais tout de même, j'ai la réputation d'être pas mal curieux et je ne vais pas arranger mon cas... "Comment as-tu rencontré Mahala, dehors ?" Il faut bien occuper les esprits pour oublier la douleur. Qu'elle soit physique ou mentale. J'ose espérer ne pas devenir un poids sur les épaules de Soo Hyun. Sinon, son séjour risque d'être encore plus long pour lui.

Un soupir plaintif sortit d'entre ses lèvres pleines. Le brun était agacé, néanmoins, il ne pouvait rien faire d'autre que d'obéir. Une main lasse se faufila dans sa chevelure ébène, geste inconscient qui sans doute devait défouler un soupçon de colère. « Et tu sais quand je pourrai sortir ? » Le chasseur allait devoir rester cloîtré dans cet endroit... anti-naturel trop longtemps à son goût. Même si cet inconnu lui disait qu'il pouvait s'en échapper le lendemain même, ce serait trop pour Soo Hyun. Plus tard, le plus vieux des deux – sans doute – évoqua la personne qu'était Mahala dans la conversation pour faire une comparaison sur les couleurs de peau. De ce fait, le médecin lui demanda s'il la connaissait. Il devait peut-être être fatigué par l'opération pour poser une question à la réponse si évidente. « Si j'en parle, c'est que je la connais. » Répondit Soo Hyun, quelque peu perplexe.

Le brun papillonna des cils soudainement, sa vue devenant à nouveau floue un court instant. Il décida alors de fermer les yeux et respirer fort pour se calmer. Ils étaient forts leurs médicaments dis donc. « Lu Han... » Il répétait simplement ce prénom pour bien l'ancrer dans sa mémoire. Il se souviendrait de lui, comme il se souvenait du prénom de toutes les personnes qu'il avait rencontré, bien que parfois, l'image de leur visage devenait de moins en moins visible dans ses souvenirs. Il ne rouvrit pas les yeux tout de suite, même pour répondre à la question que Lu Han venait de lui poser. Comment avait-il rencontré Mahala ? Soo Hyun ne s'en souvenait plus vraiment en vérité, sans doute à cause du taux de morphine qui déferlait dans ses veines. « Hm... Je sais plus mais... » un sourire béat, voire niais s'afficha sur son visage détendu désormais. « C'est une très bonne amie à moi. » Il sourit de plus belle. « Comme quoi, à l'extérieur il n'y a pas que du mauvais. » Ajouta-t-il enfin.

J'ai conscience que pour quelqu'un qui n'a connu que l'extérieur, se retrouver plusieurs mètres sous terre doit être éprouvant. Je ressens son agacement, mais il est cloué au lit pour un bon bout de temps. Il a eu une chance folle, je ne sais pas s'il s'en rend compte. Je l'observe attentivement, serveillant ses réactions au cas où il souffre trop. Remontant sa main dans ses cheveux d'ébène, soufflant par cette impuissance dont il est victime. Je suis désolé pour lui. Mais je sais que nous prendrons soin de lui avant de le ramener à l'extérieur. "Quelques semaines." Je lui réponds enfin. "Quelques semaines et si tu ne t'agites pas trop, tu pourras ressortir. Je te le promets." Je ne sais pas s'il changera d'avis, le temps fait bien les choses. Mais ce n'est pas moi qui le forcerai à rester à l'abri. Comment pourrais-je le forcer ? Je ne connais pas, il est libre. Juste contraint de prendre du repos à l'abri, c'est tout...

Le silence remplit de nouveau la pièce. J'entends son souffle s'accélérer, ses constantes changer sans pour autant que cela soit alarmant. Je le dévisage en fronçant les sourcils, inquiet. Mais tout va bien, il répète simplement mon nom, comme un automatisme. Je ne dis rien encore, restant sagement assis sur mon tabouret au bord de son lit. Je réajuste un peu le col de ma blouse blanche par mécanisme. Puis on en vient de nouveau à Mahala. Il a fallu un peu de temps à Soo Hyun pour réfléchir, essayer de recoller les morceaux. Mais la morphine agit bien sur son organisme et ses souvenirs sont flous. Je ne vais pas le forcer à s'en rappeler, évidemment. Je tapote son bras libre du bout des doigts, pour lui assurer que ce n'est pas grave. Je ne vais pas en mourir après tout. Cependant, sa dernière phrase me plonge dans un certain état de contradiction. Non, je ne peux pas être d'accord avec lui. Il est arrivé ici dans un état grave ici, et moi aussi quand j'ai voulu sortir à la surface je suis revenu plus en danger que jamais. "Du bon ? Tu crois qu'il y a du bon à l'extérieur ? Je n'en suis pas si sûr Soo Hyun." Un pincement de lèvres, je recule un peu, coupant ainsi tout contact physique avec le blessé. S'il veut essayer de mon convaincre que l'extérieur est agréable, il risque de se heurter à un mur.

Le choc fut dur à appréhender. Quelques semaines à rester ici ? Mais déjà une journée lui semblait de trop, alors rester dans cet endroit fermé, à vingt mille lieues sous les terres, Soo n’arrivait à l’envisager. Il se sentait déjà devenir claustrophobe et avait l’impression de vivre dans un cercueil dont le seul avantage était d’être confortable. On voyait bien à son visage que toute cette situation l’ennuyait et le désespérait. Néanmoins, que pouvait-il faire ? Il n’allait pas non plus cracher sur ces soins gratuits qu’on lui offrait – bien qu’il se dût, parce que c’était normal par son éducation – de rendre service en retour. « Je finirai bien par sortir… Quoiqu’il en coûte. Mais en attendant, prend bien soin de moi. » Par la suite, les propos de ce Luhan firent rire le futur veilleur. Un rire las, fatigué et inconsciemment dédaigneux. « Alors quoi ? Je suis amoché à en faire peur, t’as du sortir une fois, voire un vilain méchant et c’est bon, le monde extérieur ne vaut pas le coup d’être vu ? Oui il y a du bon, il y a des gens qui se soutiennent malgré leur entourage, il y a des paysages majestueux qui se cachent derrière les décombres et le néant, puis, il y a les vestiges de nos anciennes vies. On ne peut pas les abandonner comme ça. Se cacher dans ce trou… J’en viens à être désolé pour vous. » Il soupira, se doutant bien que ses mots pouvaient ne pas être appréciés seulement, il disait simplement ce qu’il pensait, en toute honnêteté. Même si dehors c’était dangereux, Soo Hyun préférait courir le risque plutôt que ne plus jamais connaître cette sensation de liberté.

Plus il parle, plus mon coeur se serre dans ma poitrine. J'ai l'impression d'entendre Jaeho défendre bec et ongles toute la beauté de l'extérieur. Malheureusement, ce n'est pas un sujet sur lequel j'aime débattre. J'ai passé plus de trois ans à me battre avec mon ancien fiancé, j'ai comme un air de déjà-vu avec Soo Hyun. Oui, il est arrivé bien amoché et si je ne l'avais pas sauvé, il serait mort à l'heure qu'il est. Oui, ça me fait peur car cela me confirme encore et toujours que l'être humain n'est pas prêt à vivre dehors. Tous ces gens à l'extérieur n'ont pas pu avoir la chance de se réfugier dans cet abri, je le sais. Si Soo Hyun est désolé pour nous de vivre cachés, et bien moi je suis obstinément désolé pour lui de devoir survivre dehors, en danger permanent. Mais c'est peut-être ça qui le rend plus fort ? C'est peut-être ça qui rendait Jaeho si fort aussi ? C'est peut-être ça qui rend les explorateurs plus forts ? Je déglutis. Mon regard fuit désespérément le sien. Je ne peux pas être d'accord avec tout ce qu'il dit, même avec toute la bonne volonté du monde. Il y a des choses qui ne pourront jamais changer en moi, et mon point de vue pour l'extérieur en fait partie.

Alors je ramène mes mains devant moi, jouant nerveusement avec mes doigts. Il me traite comme un enfant qui n'a encore rien vu de la vie. Mais tout le monde est différent, pas vrai ? Je suis différent par définition, en tous points. Et je ne suis pas fait pour l'extérieur. "Survivre des années dehors pour finalement se faire sauver in-extremis par des gens qui se cachent... ouais, j'en viens à être désolé pour toi aussi." Je hausse une épaule nonchalamment, gardant la tête basse et me concentrant sur mon ongle qui essaie d'arracher un bout de peau morte. Quelle ironie, pas vrai ? Dénigrer autant la communauté de l'abri en les traitant indirectement de peureux... Je pousse un long soupir et me redresse, esquissant un mince sourire. "M'enfin, tu es juste tombé sur le type qui est le plus traumatisé par l'extérieur." Je me lève enfin de ma chaise, ramenant une mèche de cheveux derrière mon oreille pour ensuite prendre son dossier médical. "Repose-toi, je ne t'embête pas plus."