La nuit tombait peu à peu, la fraîcheur avec. Une fraîcheur appréciée après la lourdeur de ces dernières journées. Dongho voguait dans cette forêt qu'il connaissait si peu mais l'inconnu l'intriguait. Jamais il n'avait peur, et en ce moment de grande solitude il se sentait bien. Il avait prévenu son bras droit, il ne rentrerait pas aujourd'hui de sa petite balade, il voulait profiter de ce petit souffle d'air frais sans personne pour le quémander, sans d'autres pour lui demander des conseils, d'autres pour lui montrer leur nouvelle trouvaille ou tout simplement sans avoir à rencontrer un autre être humain.

Néanmoins, perdu dans sa contemplation de la lune, il n'aurait pas pensé que cette nuit, le destin allait être contre ses plans d'isolement. Il sentit un poids s'abattre sur lui, un poids qu'il repoussa rapidement, mais rapide la silhouette le fit se retourner trop vivement vers une direction où il n'y avait rien pour revenir à la charge sur lui. Sous le poids de cette attaque rapide, le brun tomba à la renverse, le dos choquant vivement contre le sol humide, boueux. Des cheveux descendirent sur la pointe de son nez, le chatouillant légèrement et le forçant à observer le visage de la propriétaire. Ses sourcils se haussèrent subitement alors qu'il la reconnaissait, cette fille dont il ne savait le nom mais dont il se souvient de sa rencontre avec. Il l'avait sauvée. « J'apprécie le fait de ne pas t'avoir sauvée pour rien. » Il plissa légèrement les yeux pour mieux l'observer dans cette obscurité naissante avant de remonter une de ses mèches de cheveux derrière son oreille pour qu'elle arrête de chatouiller son nez. « Tu as bien grandi. » Elle était vraiment belle, bon potentiel séduction physique. Maintenant, Dongho était curieux de savoir ce qu'elle était devenue.

Ce soir encore, j’avais poussé un peu plus loin la zone de chasse. Nous avions terminé mais je n’étais pas pressée pour rentrer. Les autres non plus. Alors nous nous sommes séparés pour explorer librement. Faisant attention où je mettais les pieds, j’avais les yeux partout, à l’affût du moindre animal mais scannant les lieux pour une possible chasse dans le futur. Le crépuscule m’empêchait d’y voir aussi clairement que souhaité. Je pestais intérieurement, quand mon œil fut attiré par un mouvement droit devant moi. Instinctivement, je me cachais dans les hauts herbes et me figea. La silhouette bougeait toujours, d’un mouvement tranquille. Par chance, elle n’avait pas senti ma présence. Je m’approchais alors à pas feutrés, les jambes et le dos courbés, les yeux fixés sur la cible en face de moi. Je me figeais de temps à autre, avant de me rendre compte qu’il s’agissait d’un homme. Je ne le reconnu pas comme étant un membre de mon clan, alors je m’apprêtais à attaquer. Démunie de mon arme, car j’aimais voyager léger, il me fallait compter sur l’effet de surprise et sur ma rapidité. Guettant le bon moment, je bondis hors de ma cachette, à quelques centimètres de lui.

Mes bras le plaquèrent au sol et je grimpais sur lui, l’empêchant de fuir. Un poing en l’air et l’autre enserrant sa gorge, j’étais comme un animal prêt à en découdre pour sa survie. Car je savais que je n’aurais pas l’avantage de la force. L’homme ne parut pas perturbé le moins du monde, aussi j’étais plus en alerte. Je fis une pression sur sa gorge, l’incitant à ne pas faire l’imbécile. Mais au lieu de cela, il déplaça une mèche de mes cheveux. Le contact de sa main sur mon oreille fit naitre un frisson démarrant de ma nuque et descendant le long de ma colonne vertébrale. Je ne compris pas cette réaction mais fut surprise de l’entendre dire qu’il était satisfait de ne pas m’avoir sauvé pour rien. Je fronçais les sourcils mais ne desserrais pas mon emprise. Néanmoins je crus reconnaitre les traits de son visage et sa réplique parut me rappeler quelque chose. Je vis soudain trouble, je ressentis comme une douleur et vit ces mêmes traits. Se pourrait-il que … ?

Je me décidais enfin à le relâcher. D’un mouvement vif, je bondis en arrière, retombant sur mes jambes. Dans un même mouvement, j’attrapais sa main pour l’aider à se relever. Quand nous fûmes debout, l’un face à l’autre, ma main ne lâcha pas la sienne. Je ne voulais pas qu’il s’éloigne. J’avais toujours fait fi des convenances d’une distance appropriée quand j’étais curieuse. Je me rapprochais encore un peu, jusqu’à sentir son souffle sur mon visage. Les yeux plissés, j’examinais avec soin chacun de ses traits. Mais je savais déjà qui il était. Je souris alors, et tout en lâchant sa main, je lui répondis : « Toi aussi, tu as vieilli. » Quel âge devait-il bien avoir la première fois que nous nous sommes vus ? Etait-il aussi beau que maintenant ?

Malgré mon apparente tranquillité, mon corps entier était en alerte. Mon instinct hurlait de m’enfuir, mais je restais obstinément là. Je m’éloignais finalement. « Il est un peu tard pour explorer, non ? » Car il ne pouvait pas en être autrement pour moi. S’il n’était pas un veilleur, il ne pouvait être qu’un membre de l’abri. La troisième option était trop effrayante pour que je m’y attarde.

C'était un peu triste à dire pour cette jeune femme, mais ce n'était pas avec cette force qu'elle aurait pu tuer Dong Ho. Et elle laissa échapper sa chance d'utiliser sa rapidité pour planter une lame dans son cou. Parce que si elle pensait le menacer de son petit poing en l'air, assise sur lui, elle se trompait. Même sous la réelle menace d'une arme, le Boss de la Main Rouge n'éprouvait plus aucune peur, il se l'était interdit et si jamais cela devait arriver, alors il la surpasserait. S'effondrer sous le poids de l'effroi était de la lâcheté pure. Et plus jamais il ne serait comme tel. Cette pression sur sa gorge était minime, comme si cette jolie fleur ne donnait pas toute son énergie à la presser.

En déplacant cette douce mèche de cheveux, il se félicita d'avoir mis ses mitaines pour sortir en les pensant utiles pour grimper aux arbres, notamment lorsqu'il devrait dormir. Elle n'était pas de la Main Rouge, sans doute devait-elle se méfier, comme tout le monde, des membres de son clan. Ses yeux se perdirent sur la contemplation de son visage. Elle avait de bonnes joues, une bouche pulpeuse, un nez fin et des yeux bien en amande, vraiment très belle. Elle avait bien grandi, tout en finesse, mais quelque chose dans ses yeux était sombre, une lueur noire les enflammait. Cela rendait encore plus curieux ce leader cruel.

Enfin elle se redressa tout en proposant son aide à Dongho, aide qu'il ne refusa pas. Ses yeux se mirent à fixer cette main féminine qui ne se décidait pas à lâcher la sienne. Elle s'approcha, il ne recula pas. Dongho la surplombait de son imposante carrure, pourtant il ne semblait pas l'effrayer. Cette fille n'était pas au courant. Elle ne savait pas quel poste il occupait. Elle ne se doutait de rien, c'est pourquoi il n'y avait ni peur ni haine dans son regard chocolat. Il esquissa un léger sourire, en quinze ans il était certain qu'il avait vieilli, sans doute avec quelques rides en plus. A l'époque il était encore irresponsable, il fuyait sa patrie et en quittant son pays, il y commit sa dernière bonne action là-bas. Plus jamais il n'y remit les pieds. Enfin leurs mains se quittèrent et la blonde se recula. « Je me promène simplement. » Il observa à son tour la jeune femme, analysait ses petites égratignures et se rappela de sa gestuelles puis l'environnement lui-même. « Tu chassais ? » Il se massa la nuque avant d'aller ramasser quelques branches de bois pour allumer un feu, normalement peu de goules traînaient par là, et si jamais il la protégerait pour l'instant. « Raconte-moi ce que tu es devenue. » Il rassembla les branches pour commencer à préparer le feu. « Mais avant ça, est-ce que j'aurais enfin le privilège, après toutes ces années, de connaître le nom de cette jouvencelle en détresse ? »

À son tour, il m'inspecta et je ne m'y dérobais pas. Presque par défi, je continuais de l'observer, suivre son regard pendant qu'il m'analysait. Il me paraissait méthodique et une certaine froideur semblait dominer toute sa personne. Mon instinct hurlait toujours, invitant mon corps à m'échapper de son emprise. Mais c'était déjà trop tard. Je faisais abstraction de mon intuition pour la première fois. J'attribuais ce gain de confiance quasi immédiat au visage familier, venu d'un autre monde, qu'il affichait. J'étais comme transportée dans un autre temps, celle où ma famille était au complet, celle où elle ne m'avait pas laissée orpheline. J'acquiesçais simplement ; effectivement je chassais. Mes mouvements avaient dû me trahir. Je prenais du plaisir à la chasse mais je ne supportais pas la mise à mort. Le sang m'avait toujours rebuté et je tuais avec peine les animaux qui succombait à ma lame. Seul le jeu et la traque m'amusaient.

Imitant ses gestes, je ramassais à mon tour quelques branches de bois secs avant de les jeter dans un coin qui ferait office de feu. J'étais amusée qu'il s'enquérisse de mon passé et de mon présent. Flattée également qu'il se souvienne de moi. Mes traits s'étaient pourtant durcis par la rage de vivre, mes cheveux s'étaient éclaircis, quittant leur couleur goudron d'autrefois. Je ne répondis pas tout de suite, car je ne savais pas par où commencer. Nous ne nous étions que croisés, à une époque de nos vies où nous cherchions sûrement à trouver un sens à nos existences. Nous ne nous étions parlés, quand j'ai repris conscience il n'était déjà plus là. Que dire à un fantôme du passé qui ne connaît rien de soi. J'entrepris de chercher deux pierres à frotter l'une contre l'autre pour créer une étincelle. Assise sur le sol, jambes croisées en tailleur, mon attention étaient reportées sur ce que je faisais. Le son de ma voix me surprit presque. « Il n'y a pas grand chose à savoir, tu sais. Ma famille a péri après une quête d'un clan que je ne comprends pas toujours. J'imagine que mon besoin de vivre est plus fort que ce monde fou. Ou bien suis-je devenue aussi folle que lui ? » Je souris à ma propre bêtise. N'attendant pas une réponse de sa part, je poursuivis : « Ou bien mon destin est-il enchainé au sien depuis le début ? » Mon regard s'assombrit, devenant presque glacial en repensant au chef de la Main Rouge. Si ma raison de vivre tenait à la survie de ma sœur, elle prenait un tout autre tournant avec sa mort.

Des étincelles jaillirent du frottement des cailloux, tombant dans les branches amassées dessous. Le feu ne tarda pas à prendre et je me penchais un peu, retenant mes cheveux en arrière pour le faire grandir. Je plissais les yeux pour ne pas prendre une poussière dans l'œil et quand je jugeais que le feu avait suffisamment pris, je me reculais et détachais les deux petites proies suspendues à ma ceinture. M'occupant de les nettoyer, en cachant tant bien que mal mon dégoût pour le sang qui coulait sur mes bras, je finis par les embrocher et construire un support pour les faire griller. Il se tenait toujours près de moi et son regard persistant finit par me gêner. Je souris avant de lui tourner le dos pour aller rincer mes mains au point d'eau. Le dos tourné, mon corps se détendît peu à peu. Ma raison avait finit de le convaincre que je ne craignais rien. « Je suis contente de te savoir en vie. Je t'avais pensé mort mais on dirait que je me suis trompée. Te promènes-tu souvent seul ? Personne ne va venir s'inquiéter d'où tu es ? »

Dong Ho n'avait rien demandé mais à peine avait-il commencé à rassembler du bois que la jeune femme se mit directement en œuvre : ramassage de bois, allumage du feu et même préparation de la nourriture. Plus qu'efficace, voire trop en sachant qui elle allait nourrir. Néanmoins, le boss de la main rouge n'en dit rien et la laissa faire, l'aidant à alimenter le foyer, tout simplement. Elle faisait une bonne chasseuse mais aussi une bonne survivante. Cette femme n'était sans doute pas de l'abris. Elle avait du survivre entourée des veilleurs. Eux seuls maîtrisaient les éléments de la nature comme tel, les hommes de l'abris n'étaient pas aussi débrouillards. Elle paraissait autant pensive que concentrée, intriguante. Son timbre de voix résonna alors dans ce crépuscule presque silencieux, seulement perturbé par le teintement des pierres qui se frottaient l'une contre l'autre, puis du crépitement du feu qui naîssait peu à peu. Son récit était un récit similaire à tant d'autres. Dans ce monde, à cette époque, celui qui n'avait vécu aucune de ces horreurs, aucun drama, était un miraculé, un heureux élu, il n'existait pas. Dong Ho n'était pas empathique, et bien qu'il l'ait sauvée, il n'avait rien pour la réconforter – il ne ressentait rien face à ces propos. Néanmoins, elle parla d'un clan qu'elle ne comprenait pas toujours. Dong Ho se doutait bien duquel elle parlait. « La Main Rouge ? » Que son clan ait été impliqué dans ce genre d'histoire dramatique n'étonnait pas son Leader, c'était tout à fait plosible. Peut-être que sa famille avait finalement cherché des noises au clan, mais il avait beau y réfléchir et fouiller dans sa mémoire, il ne se souvenait pas d'un cas comme tel, du moins, certainement pas avec une famille Nord Coréenne.

La blonde s'occupa de nettoyer les viandes. Elle n'aimait pas ça. Dong Ho était observateur, ce genre de chose était facilement repérable, pourtant, cette femme donnait tout d'elle pour le cacher. Elle voulait paraître forte et rien que ça était plutôt admirable. Peut-être le sera-t-elle un jour alors. Le chef était toujours un peu coincé dans cette pensée étroite qui disait que toutes personnes hors de la Main Rouge était faible d'esprit et lâche, mais à cet instant, il se disait que si elle rejoignait ses rangs, il n'aurait pas de mal à arranger cela. Le brun se savait imposant, qu'elle se détourne de son regard ne le choqua pas, qu'elle fasse, pensa-t-il. Désormais, il fallait qu'il trouve une histoire à bidouiller. Pas la même que pour Myung Ki autrement, si ces deux là étaient amenés à se croiser, Dong Ho serait dans de beaux draps. « Ma foi j'ai survécu. » répondit-il, faussement pensif. Encore une fois, allait-il devoir jouer la comédie ? C'était épuisant, mais s'il n'y avait pas le choix. « Je suis toujours seul. C'est la meilleure chose à faire ici. » Au moins, ce point était réglé. Néanmoins, la jeune femme s'était dérobée. « Et ton prénom ? Il est si précieux que ça, pour que tu ne me le dévoiles pas ? »

Mon visage s’était assombrit à l’évocation de l’autre clan. Non, la Main Rouge n’avait pas ma préférence. Cause principale ? L’homme à sa tête. Légèrement distraite par mes pensées sombres, je revins près du feu, secouant mes bras pour faire goutter le reste d’eau sur ma peau. « Solitaire ? Ah oui ? » J’esquisse un sourire en coin, peu sûre de la véracité de ses propos. Je ne l’imagine pas vraiment en solitaire, même si son attitude générale dégage une sorte de froideur peu acceptable dans un groupe. Mon instinct sonne le signal d’alarme une nouvelle fois. Réveille-toi, regarde-le bien ! Mais encore une fois, je n’écoute pas, je préfère réfléchir avec … avec quoi d’ailleurs ? Mes yeux j’imagine. Car si je ne veux pas admettre qu’il me faut prendre la fuite, je dois reconnaitre que je le trouve particulièrement beau. Je ne m’attarde pas plus à la contemplation et prépare les deux bestioles que je dispose au-dessus du feu, à l’aide de branches. « Yoon Hee. Et toi ? Dois-je continuer à t’appeler Celui-Qui-m’a-Sauvé-un-Jour ? » Il était inutile de donner mon nom de famille. A quoi cela servait de toute façon ? Le concept de famille n’existe plus depuis longtemps, la plupart se retrouvant orphelin ou vivant dans une famille mutilée. Tout ce qui comptait désormais, c’était le prénom, l’appartenance à un clan. C’était par ses informations que l’on construisait l’identité de chacun. Quelle était celle de l’homme qui se tenait en face de moi ? J’avais entraperçue son ancienne identité. Qu’en était-il désormais ?

Le silence s’était réinstallé entre nous. Levant les yeux au ciel, je vis que la nuit était définitivement bien tombée. Quelques étoiles faisaient leur apparition maintenant. En observant autour de moi, je me demandais si des goules allaient faire leur apparition. De toute les créatures pouvant peupler notre nouveau monde, celles ci étaient celles que je trouvais le plus effrayant. Anciennement des hommes et des femmes, ils n’avaient plus rien de commun à nous autre. Etaient-ils seulement doués de conscience, hormis celle animé par la faim ? Je ne crois pas. Je frissonnais à l’idée qu’un membre de ma famille aurait très bien pu devenir l’une de ces créatures. Le son de ma voix me surprit presque. « Tu parlais de la Main Rouge tout à l’heure … Effectivement, je ne comprends pas non plus ce clan. Qui le comprendrait mieux que celui qui le dirige ? L’un est trop pacifiste, l’autre est trop cruel … Lequel est celui qui a la loi la plus juste par rapport à ce monde ? » Je n’étais ni complètement d’accord avec l’un, ni en désaccord complet avec l’autre. Le pacifisme de Heisuke m’exaspérait autant que la cruauté de Dong Ho m’écoeurait. Je passais une main dans mes cheveux, n’attendant pas une réponse spécifique de sa part. De toute manière, je ne suis pas persuadée qu’il m’en apporte une. Il ne me semblait pas vraiment prompt à la discussion.

Que voulait-elle qu'il réponde ? Il s'était déclaré solitaire, il n'allait pas changé de version si facilement. Il n'allait pas tenir longtemps sa supercherie sinon. Avait-il des airs d'homme sociable ? Pourtant il se connaissait bien. Il savait son aura froide et imposante. Il n'inspirait pas la sympathie. Le brun savait aussi que son physique plaisait bien que lorsqu'il se regardait dans le miroir, il n'y voyait rien d'exceptionnel. Néanmoins tant qu'à faire, il ne crachait pas dessus. Devait-il renchérir pour qu'elle le croit ou simplement jouer la confiance ? Le Boss n'était pas comédien de métier, toutes ces manigances dramatiques le fatiguait. En ce moment, il était partagé entre l'intérêt grandissant d'avoir rencontré cette jeune femme et le regret de ne pas avoir eu cette soirée solitaire qu'il attendait depuis longtemps. Le rôle de leader n'était pas simple mais Dong Ho n'était pas encore prêt à le déléguer entièrement bien que son bras droit s'en occupait parfaitement. « Je te donne l'air de mentir ? » finalement sa curiosité prit le dessus, il rentrait dans le jeu. L'air se rafraîchit et la voix de la blonde reprit le dessus sur le silence pour l'informer de son prénom et demander le sien en retour. Yoon Hee, un prénom à la consonance douce, pourtant le regard de cette femme était aussi dur que le roc, joli contraste. Dongho émit un léger rire alors que le patronyme qu'elle lui associait était quelque peu amusant. « C'est pas mal je trouve, ça me met en valeur. » Il se massa la nuque, un prénom, il en fallait un, et vite avant que le blanc ne se remarquer. « Joon Ki. » Simple, rapide, efficace.

Le silence reprit son règne, la nuit dévoilait son visage et bourgeonnait de plusieurs centaines d'étoiles et une brise un peu plus forte qu'auparavant se levait pour effleurer leur peau. Dong Ho restait à l’affût, on ne savait jamais. Alors qu'il arrangeait sa position, son t-shirt humide le dérangeait, la boue collait à son dos et cette sensation lui était fort désagréable. Sans considération aucune, le brun retira son t-shirt pour se libérer de cette poisse sur son corps, laissant son torse à l'air. Il piqua un bâton dans le sol et y accrocha son vêtement pour qu'il sache. Hors de question qu'il use de l'eau saine pour le nettoyer, quand il sera sec, il sera moins désagréable à porter. Étrangement, le regard perdu dans les flammes qui s'agitaient, Dong Ho repensa à ce privilège que certains soldats nord-coréens possédaient : une cigarette. Sentir le goudron envahir ses poumons, la fumée caresser l'intérieur de son corps, la recracher et se sentir mieux après... Pourquoi ce manque si soudain alors qu'il n'en avait pas touché une en dix-sept ans ? La voix de la blonde le sortit de ses pensées. Elle hésitait, elle n'affirmait pas d'opinion bien décidée entre les deux visions distinctes des leaders. Pouvait-il la travailler ? La manipuler ? C'était quelque chose à tenter. Néanmoins, pour ce qui était de sa question, Dong Ho n'allait pas se nier à lui-même que sa vision du monde était la meilleure. Celle des veilleurs n'était que chimère et utopie, un ramassis de conneries. Le faussement dit Joon Ki haussa les épaules avant de se masser la nuque. « Je ne réfléchis pas souvent à ce genre de chose. » Il fit semblant de réfléchir avant de poser son regard sur elle. « Rester éloigné est le mieux à faire. » Ou pas.

Je ne fais pas attention à ce qu’il me dit, parce que je crois comprendre qu’il cherche à entrer dans un jeu dont je ne comprends pas encore les règles. Joon Ki … Je me répète son prénom en tête, comme un écho. C’est étrange, ça sonne faux. Je fronce les sourcils en continuant à parler, me laissant embarquer dans mon éternel débat. Heisuke, Dongho … Je n’arrive même pas à comprendre le premier, alors que je le côtoie au quotidien. Tout me semble bien trop idéal, bien trop irréalisable. Pourtant, de l’autre … On dirait que tout se résout par le sang et la guerre. Trop concentrée dans ma propre réflexion, ce n’est que quelques minutes après que je relève la tête. Ecarquillant les yeux, je reste un moment figée. Je crois même que je retiens ma respiration. Habituée à ce que les hommes de mon clan s’exhibent notamment lors des grandes périodes de chaleur, je n’en reste pas moins figée par la vision qui s’offre à moi. La lumière discrète de la lune éclaire sa peau, la faisant légèrement briller. Je détourne finalement la tête, après des secondes qui me semblent bien au-delà du raisonnable. Puis je l’entends me répondre. A-t-il perçu le trouble dans mon regard ? Je me racle la gorge et me concentre sur les flammes qui crépitent. « Rester éloigné ? Pardon, mais personnellement, je trouve que c’est la solution des lâches et des faibles … Sans vouloir te vexer. » poursuivis-je, un ton relativement plus doux qu’au départ, consciente de ma maladresse. Mais je ne peux m’empêcher que ne pas prendre part à ce qu’il se passe, revient à renier la volonté d’ériger une forme de société. Nous ne sommes pas des animaux solitaires. Pourquoi devrions-nous nous comporter comme tel, juste parce que nous avons peur ? Et peur de quoi ? Mourir ? Il faut bien passer par là un jour.

Gênée par ma soudaine réplique vindicative, je passe mes mains sur mon pantalon. Ne sachant comment réparer ce que mes mots ont probablement dû provoquer, j’envoie ma main au-dessus du feu, me saisissant de la viande qui est désormais rôtie à point. Je finis par le lui tendre : « Tu ferais mieux de le manger. Grillé, le goût est moins bon. » Je suis obligée de le regarder, pour le coup. Mais je mets un point d’honneur à ne fixer que ses yeux sombres. Pourquoi dois-je me troubler autant pour si peu ? … D’accord, peut-être pas pour si peu que ça.

Il entendait la hargne dans ses propos, la rage et la conviction. Cette femme savait ce qu'elle voulait. D'ailleurs, sa répartie faisait écho à celle de la Main Rouge. Avait-elle choisi le mauvais clan ? Se plaisait-elle réellement chez les veilleurs ? Dong Ho pensait de la même manière, mais ce soir il était Joon Ki, un solitaire qui fuyait les relations humaines. « Tu es libre de penser ce que tu veux. » répondit-il d'un ton calme alors qu'il haussait les épaules. Le brun n'était pas du genre à s'émouvoir pour si peu, d'autant plus qu'à l'instant présent il jouait un rôle et que de ce fait, en réalité, il n'était pas l'un de ces lâches qui évitaient les conflits. Joon Ki était, depuis qu'il l'avait inventé, un homme en marge de ce qu'on essaie d'appeler société à cette époque, un solitaire rebuté par la compagnie humaine de trop grande envergure. Un homme dégoûté par l'humanité à cause de la guerre. Un homme qui se cherche dans ce monde qui ne lui convient pas. Il lui fallait changer de sujet parce que s'ils continuaient ainsi, ils glisseraient sur une pente sans fond. « Tu ne comptes pas rentrer chez toi ? » Mitaines en cuire toujours sur les mains, Dong Ho ne se fit pas prier pour se servir. Il ne cuisinait jamais lui à la Prison, et depuis quelques temps qu'il ne sortait plus seul, cela faisait donc très longtemps qu'il n'avait plus rien fait à manger de ses propres mains. Autant dire que ce repas était le bienvenu. Il souffla légèrement sur la bête, se souciant guère de se brûler la langue ou les doigts, et croqua à pleines dents dans la chaire, savourant ce goût braisé. « Merci. » dit-il à l'intention de la belle blonde. Il termina sa bouchée avant de reprendre. « Viens manger? » Elle avait du mal à supporter son regard vers lui, était-ce le fait que son torse soit dénudé qui la perturbait ? « Tu peux me dire si ça te gêne. » Il croqua un morceau. « Pour le T-shirt. » Il planta son regard dans le sien, il sondait la noirceur de ses pupilles, s'y perdant un instant.

Chez moi ... Je n’avais pas répondu, car malgré les années, j’avais depuis longtemps renié la notion de foyer. Depuis des années, nous avions quitté nos maisons, avions fui ce qui était à nous. M’attacher à nouveau était devenu compliqué. « Non merci, je n’ai pas faim. » Je n’étais pas une fan inconditionnelle de viande. Particulièrement lorsque j’avais vu le sang couler de la chair encore chaude de l’animal. J’étendis les jambes, les os de mes genoux craquaient un peu. Le crépitement des flammes se joignaient au silence mordant de la nuit qui avait pris désormais toute la place. A force de le fixer, le feu me brûlait un peu les yeux. « Hein quoi ? » Je me redressais jusqu’à le regarder. Un craquement d’os sorti de sa mâchoire. Puis il précisa et je me figea. Voilà, je ne savais plus où me mettre. « Non non ... Enfin, fais comme tu le sens. Ne ... Ahem, bref. » Je me mordis la joue. Il faudrait que j’apprenne à savoir quand me taire. Perturbée par ma propre bêtise, je me raclais une énième fois la gorge, si bien qu’elle commençait à me démanger. Mécaniquement, mes doigts se perdirent dans mes cheveux et mon regard fut attirer vers un point lointain qui n’existait évidemment pas.

En l’espace d’une poignée de secondes, j’avais troqué ma colère pour de la gêne. Autant dire que j’avais perdu au change. Je me mordillais la lèvre inférieure, le regard vaguant de droite à gauche, cherchant un point à fixer, sans jamais le trouver. Ne sachant plus trop quoi faire de mon corps, je me levais. Mes jambes, engourdies par la trop longue station assise, accusèrent silencieusement le coup. Des fourmillements chatouillèrent la longueur de mes jambes, alors que d’un mouvement distrait, je coiffais mes cheveux en une queue-de-cheval. Je le laissais tranquillement continuer son repas tandis que mes pas m’amenaient devant le très infime point d’eau. Privée de sa vue, ma respiration reprenait un rythme normal. Pourquoi devrais-je me mettre dans tous mes états ? Les bras croisés sous ma poitrine, j’observais l’infime reflet qu’offrait ce trésor transparent. « Joon Ki, tu n’en as pas assez d’errer seul ? La solitude est parfois plus pesante que la communauté. » Dans un coin de ma tête, je n’arrivais pas à me défaire de cette idée. Sa voix, sa question me revenait en tête. Avait-il l’air de mentir ? Je me retournais. Il était là, juste derrière moi. Le regard plongé dans le sien. Un courant glacé me caressa l’échine. « Je n’arrive pas à me défaire de l’idée que je ne peux pas te faire confiance ... » Folle que tu es ! Pourquoi l’avoir dit à voix haute ?