“Miyazaki Nao”, tel était le nom de sa mère qui rendit son dernier souffle en donnant la vie à Nana. Elle se souvint que durant les premières années de sa vie, elle culpabilisait beaucoup. Elle culpabilisait d’avoir oté la vie à une personne qui lui aurait été chère. Depuis son premier jour sur Terre, Nana était une meurtrière. Était-ce pour cette raison que son père l’avait abandonnée quinze années de cela ? Était-ce parce qu’elle l’avait privé de la femme qu’il aimait le plus au monde ?

Contempler le photo de sa mère défunte représentait un rituel. Tous les matins, la jeune femme se donnait quelques minutes pour se rappeler l’objectif qu’elle s’était fixé : donner un sens à sa vie pour faire en sorte que la mort de sa mère ne fût pas vaine. Nana voulait changer le monde, le rendre meilleur.

Nana tentait à chaque fois, tant bien que mal d’éviter de penser à son père... et à Soo Hyun. Tous deux représentaient l’unique source d’une colère bien enfouie en elle. Soo Hyun… S’il n’était pas parti avec lui, elle aurait eu quelqu’un à qui parler. Elle aurait eu un frère.

La rancune qu'elle éprouvait à son égard demeurait indescriptible. En fait, ce garçon ne l'avait pas seulement privé d'un frère, mais d'un père également. Nana avait toujours ignoré les circonstances de leur départ, mais elle pensait farouchement que Soo Hyun lui avait volé son père.

Pourquoi n'avaient-ils pas emmené la jeune fille avec eux ? N'était-elle qu'un fardeau à leurs yeux ?


Depuis toute petite, Nana avait cette étrange impression que les autres s’appitoyaient sur son sort. Il est vrai qu’elle était orpheline, et comme elle n’appréciait pas vraiment la compagnie, son entourage la trouvait étrange. Pourtant, la gamine n’avait pas franchement envie qu’on la prenne en pitié. Au contraire, elle voulait montrer aux gens que rien ni personne ne pourraient l’accabler et la rendre misérable. Du coup, elle parlait fort pour se faire remarquer, elle essayait de donner des leçons aux enfants de son âge qui se montraient impolis et clamaient à tout bout de champ qu’un jour, elle changerait le monde.

En vérité, elle évitait de se lier à autrui car elle avait peur d’être abandonnée une nouvelle fois. Étrangement, la petite fille s’était habituée à la solitude, donc elle n’était pas forcément triste. Néanmoins, elle ne pouvait nier l’existence du vide que son père et le jeune garçon avaient laissé.


Pour éviter de sombrer dans la mélancolie, elle s’était réfugiée dans les livres. La plupart relatait l’Histoire du monde, d’autres racontaient des aventures épiques qui la faisaient rêver. Nana s’émerveillait devant certains personnages qui avaient changé le cours de l’Histoire et bouleversé les esprits les plus bornés. Elle aussi voulait faire la différence, c’est pourquoi elle continuait à lire tous les livres qui lui passaient sous la mains pour s’instruire. Plus elle lisait, plus elle construisait cet esprit critique qui lui permit de prendre confiance en elle.

Sa soif demeurait insatiable. Elle désirait comprendre pourquoi la vie était ainsi, pourquoi de nos jours, la cruauté semblait aussi banale qu’un simple bonjour. Ses tuteurs la mettaient à chaque fois au lit, en lui affirmant qu’elle comprendrait tout cela en grandissant. Les adultes semblaient vouloir la préserver des atrocités du quotidien, afin qu’elle conservât son âme d’enfant le plus longtemps possible. Mais Nana ne voulait plus être une enfant.


Lorsqu’elle eut neuf ans, une activité piqua la curiosité de la jeune fille : la mécanique. Elle avait découvert ce fabuleux univers en assistant le mécanicien du clan. C’était un jour assez banal où elle déambulait sans trop savoir comment passer le temps, jusqu’au moment où un homme l’interpella :

“Hé petite ! Viens par là, j’aurais besoin d’un p’tit coup de main !”

Nana alla à l’encontre de l’homme d’un air guilleret, ravie que quelqu’un sollicitât enfin son aide :

“Pourquoi vous êtes sous une voiture Monsieur ?”

“Je suis en train de réparer un truc, c’est trois fois rien, mais il me faut ma caisse à outils et je ne peux pas l’attendre d’ici. Tu peux me l’amener ?”

“Vous avez oublié le mot magique Monsieur.”

L’homme contempla la gamine d’un air stupéfait. Nana conserva son air sérieux et arqua un sourcil pour lui faire mine de céder à sa requête.

“Ok, pourrais-tu amener ma caisse à outils, s’il te plaît ?", soupira le vieil homme.

“Avec plaisir Monsieur !”

La petite fille s’en alla chercher la caisse à outils à cloche pied, fière d’elle. Quant au vieil homme, il avait bien aimé la détermination et la pointe d’insolence qu’il venait tout juste de voir chez elle. Comme il n’était plus tout jeune et que les mécaniciens se faisaient rare dans le clan des Veilleurs, il décida de lui transmettre son savoir.

Plus elle en apprenait, plus elle s’épanouissait. Grâce à la mécanique, Nana s’était découvert un côté bricoleur et s’intéressait de plus en plus aux matières scientifiques commes les mathématiques, la physique et l’informatique. Dès qu’elle avait fini d’aider son mentor - qu’elle appelait toujours Monsieur - elle se réfugiait dans les livres consacrés à ces matières afin d’en apprendre toujours plus.

Les mathématiques l’aidaient à développer sa logique et son sens de l’analyse, tandis que la physique lui faisait comprendre le fonctionnement de l’univers. Puis l’informatique, qui parfois empruntait quelques éléments aux deux matières précédentes, lui permettaient de savoir comment s’exécutaient les machines comme les robots, les ordinateurs ou les systèmes embarqués.

Nana était heureuse d’apprendre tout cela, néanmoins, il était impossible de mettre certaines de ses connaissances en pratique, étant donné l’état actuel du monde.


Au fil des années, la petite fille se transforma en belle jeune femme. Elle avait un peu de mal à se faire respecter auprès de certains collègues mécaniciens. Les remarques sexistes faisaient malheureusement partie de son quotidien. Son mentor ayant trépassé l’année auparavant, elle se sentait déstabilisée et un peu perdue.

Nana devait redoubler d’effort pour prouver qu’elle avait autant de valeur que les autres, mais elle ne manquait jamais une occasion de montrer ce dont elle était capable. Elle était bien décidée à se battre pour la cause féminine et à faire tous ces préjugés.


Depuis quelque temps, Soo Hyun était de retour chez les Veilleurs. Le de son arrivée, elle l'avait accueilli chaleureusement, car même si elle éprouvait une véritable rancune et colère envers lui, elle était vraiment heureuse de le revoir. Au moins, il était en vie. Elle avait presque oublié l’air taquin du garçon qui était devenu désormais un homme.

Cependant, son père n’était pas rentré avec lui, elle trouvait cela étrange.

Depuis le retour de Soo Hyun, Nana était beaucoup plus à cran. La joie de le revoir fut rapidement consumée par ces sentiments négatifs qui la rongeaient. Quant à son calme, il cédait peu à peu sa place à cette fameuse colère qui sommeillait en elle depuis tant d'années.

Ils ne se parlaient quasiment pas, car Soo Hyun ne restait pas longtemps au camp. Était-il en train d’éviter la jeune femme ? Lui cachait-il quelque chose ?

Qu’à cela ne tienne, Nana menait déjà son enquête...