« Arrête... » Les giclées fusaient de tous les côtés, un rire gras et dénué de tout bon sens s'imposait dans le brouhaha déjà bien présent. « Arrête... s'il te plaît. » Les larmes perlaient sur les deux visages. Un cœur se brisait, un autre noircissait. « Je t'en prie. » Jamais l'enfant ne serait une goule mais jamais celui qui frappait ne serait humain. Ses petits poings continuaient encore et encore à pousser son ami vers la libération, il riait encore et encore, il riait parce qu'il savait cette situation si ahurissante, si irréaliste. Il était entrain de tuer leur ami... pour le sauver. « Ne fais pas ça... » Le troisième, tétanisé, l'observait faire, les mains tremblantes, la mort dans l'âme. Autour d'eux, les flammes dévoraient le bâtiment qui les couvrait, noircissant leurs petites narines d'innocents. « Laisse-le... » L'enfant n'arrivait pas à hausser la voix, trop choqué par cette vision horrifiante. Et le petit continuait à déformer ce si doux visage pour l'empêcher de devenir monstrueux. « ARRÊTE ! ARRÊTE ! ARRÊTE ! S'IL TE PLAIT LAISSE-LE ! ARRÊTE ! » Il finit par hurler, la rage dans cette voix cassée et inondée par ses propres larmes. « SOOHYUN LAISSE-MOI FAIRE ! LAISSE-MOI ! » Le petit les mains toutes rouges poussa le peureux. « Je... Je le sauve... » Soohyun essuya ses larmes de sa manche souillée. « Il faut qu'on parte... C'est trop tard. On va mourir sinon... » Mais l'autre était décidé à finir sa tâche. Ce moment était interminable et tellement ignoble que le petit Soo Hyun finit par dégurgiter toute cette horreur. L'autre termina enfin alors qu'un adulte entra en alerte dans la pièce. « LES ENFANTS ! VENEZ ! SOR... » Son visage se décomposa en voyant le corps noyé dans le rouge de l'un de ses garnements. Soo Hyun se rua vers l'homme pour s'accrocher à lui. L'autre voulut en faire de même  mais une poutre s’abattit sur lui, l'empêchant de tout mouvement. « SOO HYUN AIDE-MOI ! » Les flammes redoublèrent d'intensité, fermant toute voie vers l'enfant coincé. « SOO HYUN ! » L'homme grogna, les larmes déferlant sur ses joues ridées avant de prendre Soo Hyun dans ses bras pour éviter que celui-ci ne rejoigne son ami. « NON ! NON ! IL FAUT LE SAUVER ! IL FAUT SAUVER JAE IN ! » Mais le pauvre Jae In était déjà entrain de se faire consumer par les flammes et seuls ses cris de douleur persistaient dans la pièce. L'homme sauva Soo Hyun à temps après avoir pu sortir sa propre fille de là, le bâtiment s'écroula peu de temps après. Soohyun n'était qu'un lâche, la colère de cette vérité douloureuse lui fit prendre sa dague. Il se coupa les veines et en peu de temps, le petit perdit connaissance.

Le noir laissa place à des images, plus ou moins heureuses, des images qui avaient marquées son passé. Sa mère qui caressait ses doux cheveux alors que sa petite tête d'enfant reposait sur ses cuisses, les joues en larmes après avoir fait un horrible cauchemar. Son père que le petit aidait parfois fièrement à porter les caisses à outils pour qu'il puisse mieux travailler la journée ; ses amis à l'école... Cet ami à la primaire, gosse de riches mais protecteur et son entraîneur devenu comme un père de substitution, avec ses frères de misère. Des fresques picturales d'un passé pas facile mais lointain, trop lointain. Si lointain que cette fresque disparu, balayée par la tristesse et le drame. L'image d'une petite maison déjà précaire écroulée, le corps inerte d'une mère protégeant son enfant encore en vie, et à deux mètres à peine, un père sans vie dont seul le bras était visible, tout enseveli sous les décombres. Puis son entraîneur avec sa fille encore en bas âge qui le découvrit et qui fit le tour de la vie pour chercher des survivants... Le cœur endolorit, il prit avec lui les enfants dont les parents étaient morts. Cinq en tout, dont deux qui ne firent pas long feu, trop affaibli par cette attaque à la bombe. Puis revinrent ces images encore fraîches, cette peur dans le cœur des enfants, les larmes qui s'enfuyaient des yeux de Jimin quand celui-ci se rendit compte qu'il commençait à ne plus se ressembler, la tétanie de Soo alors qu'il venait de tuer une goule avec le plus grand courage du monde mais aussi quand il comprit qu'il provoquât un incendie en faisant tomber les bougies que son entraîneur avait allumée pour les laisser apercevoir quelque chose dans la nuit. Puis la folie de Jae In quand il du tuer son petit frère... et le chagrin douloureux du seul survivant quand il ne pût sauver ses amis, quand trop lâche il ne bougeait plus. Soo Hyun se réveilla en sursaut, les poignets endoloris et bandés. Il avait échoué... Son regard vide fixait le vert d'un tissu. Intrigué, il se mut faiblement pour sortir d'une tente afin de découvrir tout un campement et d'apercevoir son entraîneur parler avec un homme imposant. Quand cet avant-dernier l'aperçut, il se rua vers lui pour vérifier sa santé et le prendre dans ses bras, affolé. « Qu'est-ce qui t'a pris Soo Hyun ? » Mais le petit ne répondit pas, sa voix, il ne voulait pas l'utiliser, il ne voulait plus rien faire.

Ils restèrent quelques jours dans ce camp qui semblait encore tout nouveau puisque l'organisation n'était pas des plus parfaites. Soo Hyun refusait de manger et de se mêler aux autres enfants, l'amitié lui faisait dorénavant peur. On dut alors user de la force pour lui faire ingérer de la nourriture, on dut le faire pleurer pour entendre sa voix et on dut le plaquer au sol pour pouvoir vérifier ses cicatrisations. Autour d'un feu de camp une nuit, les plus vieux s'égosillaient, plein d'allégresse et d'espoir – trop optimiste pour le petit qu'ils réveillèrent bien qu'il ne dormait que très peu. Alors discrètement, il sortit de sa tente pour les écouter sans qu'ils ne le voient. « Il m'a vraiment fait mal au cœur ce Ji Hyuk quand il est arrivé au camp ! » déclara un des vieux, interpellant le petit qui avait reconnu le prénom de son entraîneur. « Pourquoi cela ? » demanda un autre qui n'était pas au courant de l'histoire. « Il était complètement déshydraté, il était éraflé de partout, sa fille avait de la fièvre et il la portait comme il pouvait contre lui alors que sur son dos, il portait un enfant presque mort, il s'était coupé les veines du poignets. » conta alors l'ancien. « Mon dieu, mais que leur est-il arrivé ? » s'exclama son interlocuteur. « Ils avaient trouvé une petite maison sur deux étages pour passer la nuit. Il y avait deux autres garçons avec eux. Il a réussi à les protéger deux ans tout seul ! Deux ans tu te rends compte ? Néanmoins, cette soirée il n'eut pas de chance. Alors qu'il avait décidé de sortir pour chercher un peu de quoi chauffer les enfants, une goule solitaire s'est imiscée. Il n'en sait pas plus, simplement que quand il est revenu, sa fille pleurait au rez-de chaussée et la cabane était en feu. En haut, un des enfants et une goule gisaient au sol. Le troisième mourut écrasé sous une poutre. Le troisième enfant, celui sauvé, n'a sans doute pas supporté de voir ça. Il en est que Ji Hyuk a pansé ses plaies comme il a pu, à tout fait pour qu'il survive, pour que sa fille s'hydrate bien. Il s'est sacrifié durant deux jours afin de les maintenir en vie. Il ressemblait à un mort-vivant à son arrivée. Il s'en veut tellement, c'est si triste...  » L'autre se tut, complètement peiné par cette histoire. Le troisième qui était resté silencieux jusque là répliqua alors. « C'est pour ça que Ji Hyuk a confié ces enfants au clan ? » Le conteur hocha la tête à l'affirmatif. « Il pense qu'avec nous, ils seront en sécurité. » Un soupir se fit entendre. « Mais que compte-il faire, lui ? » L'homme haussa les épaules, sincèrement désolé. « Peut-être se laisser mourir...  » L'ambiance était au malaise, Soo Hyun n'y croyait pas. Son entraîneur allait les abandonner, sa fille et lui ? Pourquoi l'avoir sauvé alors ? « Il part cette nuit d'ailleurs. » Pas d'au revoir ? Indigné et apeuré le petit se leva d'un bond, faisant ainsi sursauté les vieux hommes, avant de courir vers la sortie du clan. Il vit au loin une petite lumière flamboyer dans l'obscurité. Alors sans hésiter, faible qu'il était, il fonça vers celle-ci, tant pis s'il fonçait sur autre chose que son entraîneur. Soit il le rattrapait ce soir, soit il mourrait. Il mit des minutes interminables avant d'arriver vers la silhouette finalement définie de son entraîneur. Ce dernier ne se cachait même pas, en totale évidence dans ce monde hostile... Il cherchait vraiment à mourir. Soo Hyun agrippa son poignet. « Je... » C'était encore dur mais il fallait parler. « Je viens avec vous ! » Soo Hyun ne voulait pas vivre en communauté, il ne voulait plus se lier à personne. Il avait perdu tout le monde, tous ses amis étaient morts – du moins, il en était fermement convaincu – et la fille de Ji Hyuk serait entre de bonnes mains. Soo Hyun ne voulait plus se lier, mais il ne voulait pas renoncer à sa dernière accroche. « Sinon moi aussi je meurs. » Alors à deux, ils devinrent des cibles dans la nuit.

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En quelques années, Ji Hyuk avait tout fait pour que l'enfant soit apte à survivre. Comme il l'aurait fait pour une séance de gymnastique, il le poussa à devenir le plus agile possible. Grimper dans les arbres étaient devenu d'une facilité déconcertante, se cacher dans des trous de souris était plutôt amusant, réfléchir sur le vif en situation de crise pour pouvoir s'échapper en minimisant les risques. Mais aussi à construire des cachettes, à se faire petit quand le danger était palpable. A chasser pour se nourrir mais jamais pour tuer puis à chasser pour vivre. Ils avaient fait de la chasse à l'objet – notamment rare et précieux – leur activité principale. Toujours la tête couverte afin de ne pas être reconnus, ils troquaient leur trouvaille contre des vivres, des objets de conforts ou de défense. C'est ainsi que Soo Hyun apprit à marchander, acte qui devint vite une manie même lorsqu'il n'y en avait pas besoin. L'aventure le faisait vibrer et peu à peu, il devenait indépendant. Il se permettait de partir en « mission » seul, bien que les premières fois avaient été des négociations difficiles à faire avec son coach, bien trop préoccupé par la survie du jeune homme depuis cette nuit fatidique. Mais si Soo Hyun voulait survivre, il devait savoir se débrouiller seul. Partir en expédition seul lui donnait une adrénaline époustouflante, comme une drogue qui le stimulait bien qu'il évitait toujours les coins avec des goules, ces dernières créatures l'ayant traumatisée. D'ailleurs, il a tellement su en éviter qu'il a peur de se retrouver tétanisé à nouveau s'il se trouve face à l'une d'entre elles un jour, ou pire, tout un groupe.




Retour à la case départ. Soo Hyun soupira, cette fois-ci, il était l'un d'eux, assis autour du feu de camp, le coude sur la cuisse, la tête lourde sur sa main tandis que la seconde avait saisi un bâton pour gribouiller contre le sol sec. Une mignonne brune lui tendit une coupe d'eau et le cœur de Soo Hyun se serra en observant ce visage tant familier, bien qu'il ne l'avait pas revu en quinze ans avant son arrivée au camp des Veilleurs. La fille de son entraîneur était pleine de vie, bien qu'elle était des moins amicales avec Soo Hyun qui selon elle, lui avait volé son père. Et partout celle-ci hurlait qu'elle allait voir son père un jour pour lui faire payer de l'avoir abandonnée comme un lâche. Seulement, Ji Hyuk était mort. C'était la raison de la venue de Soo Hyun au clan des Veilleurs. Le brun l'avait retrouvé dans l'une de leur planque entrain de gésir, un poignard planté dans un endroit vital. Ji Hyuk avait prétexté un suicide mais Soo Hyun trouva cette déclaration étrange, d'autant plus que la main de son mentor n'était pas rouge, encore propre et des traces de pas éparses et plus ou moins profondes maculaient le sol terreux et poussiéreux, quelque chose clochait. Bien que Ji Hyuk soit mort avec un sourire, il lui exprima son regret de n'avoir pu enlacer sa fille une dernière fois. Alors il fit promettre au jeune homme de prendre sa place en tant qu'une sorte de père de substitution, de veiller sur sa fille, de l'aviser sur sa mort et de ne plus être aussi entêté à vivre seul car c'était bien trop dangereux. Bien qu'il est accepté, Soo Hyun regretta amèrement sa décision. Cela faisait un mois qu'il était retourné dans ce camp qui lui sauvât la vie autrefois, et cela faisait un mois qu'il n'avait toujours pas osé dire la vérité à la fille de son mentor, qu'il se taisait dès qu'elle mentionnait son père, qu'il acceptait toute mission à l'extérieur, qu'il chassait pour les aider à se nourrir, qu'il se chamaillait avec les autres parce qu'il n'avait pas l'habitude de vivre en communauté – bien que cela n'était jamais méchant – qu'il se montrait trop vantard et jouait la comédie pour éviter de devenir trop proche des autres ; parce que tout cela lui faisait trop peur.