J’entendais le bruit des pas qui se pressaient dans les couloirs. Des éclats de voix alors que la guerre éclatait, assassinant le calme qui régnait pour ne laisser plus que la peur et l’inquiétude. J’aurais pu être de ceux qui craignaient de voir leur famille décimer par des décisions qui sonnaient comme des adieux, une promesse presque définitive, la fin d’une période de paix. Celle qui était si fragile et qui s’était effritée face à la confiance et l’égo trop gonflé des hommes qui dirigeaient le monde. Mais je n’avais plus rien à perdre. Orphelin, j’appréhendais l’adolescence avec frayeur, mais pour faire face et éviter de me retrouver embarqué par des personnes qui ne seraient qu’une entrave à cette liberté relative que j’affectionnais, je me terrais. Reclus dans l’ombre des âmes qui se hâtaient pour monter au front mourir. Je ne craignais plus la cruauté des hommes, elle m’avait pris mes parents subitement, au détour d’une rue, sous l’impulsion et l’envie qui avait éclaboussé les traits crasseux d’un homme armé. Néanmoins, je ne faisais pas confiance, je refusais d’être mêlé à cette agitation fausse et emplie de haine, de cette sensation qui me laissait un goût amer sur la langue et brûlait mes poumons à chaque inspiration. Caché, j’échappais un soupir brûlant, ravageant un peu plus cet esprit affligé par la douleur et le deuil, je me contentais d’observer jusqu’à ce qu’une main ne soit tendue en ma direction. « Que fais-tu tout seul ? Tu es perdu ? » Les lèvres scellées, le cœur battant, j’ignorais sa main, tournant vivement le regard pour entourer mes jambes et les serrer contre moi, le regard fuyant et perdu sur la foule aux yeux éteints, j’espérais qu’il décide de poursuivre son chemin. Retournant sans doute à son tour vers les occupations qui monopolisaient la population. « Tu ne devrais pas être ici ! Où sont tes parents ? » La douleur fut brutale, m’arrachant une grimace alors que je l’assassinais de mes onyx assombries par la peine. Mais aucun mot ne franchit la barrière de chair. J’avais pensé le dissuader de cette lueur implacable que j’exhalais, mais il fit l’exact opposé de ce que je souhaitais. S’asseyant à même le sol pour se joindre à ma complainte silencieuse, il m’accompagna dans mon mutisme.

« Je pense qu’il est temps de trouver un autre endroit, non ? » Il avait attendu des heures, laissant le temps filer sans même me demander la raison de ce gouffre que je laissais entre lui et moi. Je ne répondis pas, les mots moururent une nouvelle fois dans ma gorge, dévastant le peu de contrôle que j’avais sur cette affliction qui me donnait envie de hurler et de frapper quiconque essayait de se montrer aimable. Les humains n’étaient que des monstres, mais lui, qu’était-il ? La perle roula sur ma joue, salant mes lèvres. « Tu n’as pas besoin de parler. » Du revers de la main, j’essuyais la honte et le chagrin que je m’étais interdit de ressentir. « Mais je ne peux pas te laisser là. Si tu n’es pas disposé à m’accompagner, alors je reviendrais demain. »

Et il tint parole. J’avais refusé de le suivre, mais il revint le lendemain, et le jour d’après pour finir par me rendre visite dans mon abri de fortune chaque jour. Il brisait un peu plus cette carapace que j’avais érigée autour d’un cœur qui ne saurait plus jamais aimé. Il m’assommait de cette chaleur et cette empathie dont j’ignorais encore la signification, mais j’aimais ces rendez-vous improvisés. Ils devenaient un réconfort, une source d’espoir et une véritable force pour un adolescent qui avait baissé les bras. Il lui avait suffi de quelques mots, des paroles réconfortantes comme un phare dans la nuit et je m’y étais accroché. « Comment t’appelles-tu ? » « … » « Tu veux rester ici ce soir ? Je pense qu’il va faire froid, tu serais mieux à l’abri ! » Je ne répondais toujours pas, mais lorsqu’il se leva ce soir-là, je fus incapable de supporter la solitude. Avec difficulté, je dépliais des membres endoloris par la faim et le manque d’activité, des muscles presque atrophiés qui se contractaient douloureusement, tremblants et incertains. Mais je parvins à le rejoindre, réchauffé par ce sourire bienveillant.

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« Et voilà ! C’est ton cabinet désormais, fais en bon usage ! » Il me tendit les clés pour m’abandonner à cette pièce stérile aux murs tristement blancs. Cette clinique était mon nouveau départ, ma revanche sur la vie, et quelle revanche. Je peinais à croire que le garçon de l’ombre était devenu à ce point important pour me voir confier la gestion d’un service aussi important que l’était le département médical. Le destin s’était moqué de moi, affaiblissant un adolescent sans aucun repère, le laissant presque mourir pour finalement lui envoyer un homme qui était devenu un second père. Presque un mentor, il m’avait guidé sans le vouloir vers ce métier qui me tendait les bras pour laisser échapper un dernier souffle avant de m’abandonner lui aussi, laissant derrière lui un fils adoptif et une petite fille encore trop jeune pour comprendre. Derrière l’opaque de mes paupières, je remerciais silencieusement cet homme qui m’avait sauvé pour ouvrir les yeux sur ce qui serait mon monde désormais. Vingt-huit ans et à la tête d’un service, l’âge n’était plus qu’un nombre, il ne représentait en aucun cas la maturité qui s’était imposée comme une évidence. Le sourire étira mes lèvres face à ces nouveaux challenges. Et malgré cette retenu, cette distance que j’imposais encore, je souriais aussi en pensant à cette femme, celle qui m’attendait et qui savait réchauffer ce cœur méfiant.

Je goûtais ses lèvres, mordant sans retenue dans la chair pleine de ses pulpeuses alors que ma main chutait pour se perdre sur des courbes que je ne connaissais que trop bien. Mais je les redécouvrais avidement, d’une caresse aussi légère que mon souffle sur sa peau et pourtant aussi pressante que l’envie de me repaitre de cette sensibilité qui écrouait mes pensées. Je n’éprouvais que cette sensation de manque, celle de la posséder une fois encore. Je m’abreuvais d’elle, de son parfum et de ce qu’elle provoquait en moi. J’aspirais cette chaleur qu’elle dégageait en jouant de cette tension qui parcourait mes muscles, de ce feu qui brûlait mes veines altérant un peu plus ce contrôle, soufflant tout sur son passage. Et dans un dernier soupir, je vins habiller la clavicule qui s’offrait à moi, masquant la peau échauffée pour la faire rougir une dernière fois. « Tu es ma femme désormais. » « Ta femme ? Es-tu obligé de me faire ta demande maintenant alors que tu es en position de force ? » Son rire ricocha sur les murs alors que je plantais mes iris dans les siens, sondant son âme en quête de la confiance que je lui accordais. « Ce n’est pas une demande, juste un fait. Je n’ai pas besoin de mariage, tu m’appartiens un point c’est tout. » « Charmant ! Et comptes-tu me marquer au fer ? Ou me tatouer ? » Le sourire étira ses lèvres avant de taquiner ma mâchoire pour finalement se défaire de mon étreinte. Récupérant ses vêtements qui avaient rejoint le sol sans doute trop précipitamment, elle m’offrait une vue sublime d’un corps que j’avais fait mien. « Je vais retourner dans mon appartement, demain je dois partir tôt ! » « Tôt ? » Jouant des coudes, je me redressais pour lui faire face. « Tu pars encore ? » Les mots résonnaient comme un reproche, et je ne feignais même plus l’aversion qui me l’enlevait à chaque exploration. « Et comme toujours, je reviendrais très vite ! » « Tu peux rentrer, je n’ai plus besoin de toi. » Les mots étaient durs et sans appels, je l’aimais, mais je refusais de lui être dépendant. « Ji Hyuk… » J’ignorais sa supplique et la porte claqua, me laissant seul sur ce lit qui me semblait soudainement bien trop vide. Si j’avais su ce qui m’attendait, l’aurai-je retenu ? Aurais-je cherché à l’enchaîner à cette vie sédentaire qu’elle exécrait ?

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« Ji Hyuk… J’ai besoin de te parler. » « Je t’écoute, mais si c’est au sujet d’une exploration quelconque, je ne veux rien entendre. » Malgré l’air résolu que j’affichais, je craignais qu’elle ne décide de partir encore. « Je pense qu’il n’y aura plus d’exploration avant un moment en ce qui me concerne » Mon cœur loupa un battement, allait-elle enfin me rejoindre pour ne plus me quitter ? Ses yeux chutèrent et un soupire effleura ses lèvres pour qu’elle ne relève le visage, affichant une mine inquiète. « Je suis enceinte. » L’annonce fut brutale, pourtant à peine soufflée, elle résonnait comme un hurlement. Je peinais à croire ce qu’elle m’annonçait et je me détestais de lui infliger ce fardeau dans un monde anéanti. « Tu es sûre ? » L’affirmation me creva le cœur, incapable d’accepter cette éventualité. « Très bien… que veux-tu faire ? » « Je ne sais pas. » La lueur qui brillait quelques secondes plus tôt dans ses iris s’éteignit au moment où elle compris, ma question était purement médicale, il n’y avait ni sentiments, ni joie dans des mots qui me semblaient pourtant déplacés. « Je n’en appelle pas au médecin, mais à l’homme. » Je ne comprenais plus, pourquoi voulait-elle que je fasse taire le médecin, une grossesse alors que la vie avait presque été anéantie ? Etait-ce un signe ? L’orphelin que j’étais pris peur, j’étais resté seul si longtemps que je craignais d’avoir un être si petit et si dépendant. « Ji Hyuk, ne fais pas cette tête, c’est un enfant, notre enfant ! » Elle glissa ses doigts sur les miens pour guider ma main jusqu’à son ventre. Je l’aimais, et pourtant, pourquoi ne ressentais-je pas cette joie qu’elle s’attendait à me voir exprimer ? Mais qui aurait pu croire que cet être deviendrait si précieux ? Il était ma chair et mon sang, il était un bout de moi face à la dureté de ce monde, et je me promettais que jamais il ne connaisse la douleur de se retrouver seul.

« J’ai du travail, alors si vous voulez parler, faites vite ! » Impatient, je fixais l’homme qui me faisait face. Mes pupilles trahissaient l’agacement d’être à nouveau dérangé lors d’une consultation. « Je ne sais pas si vous êtes au courant mais les médecins délaissent rarement leurs patients en plein rendez-vous, alors crachez le morceau ! » Il soupira, l’air contrit presque douloureux. J’ignorais ce qui était important au point de me déranger, et en toute conscience, je lui fis sentir combien je l’exécrais. « Ji Hyuk… j’ai une mauvaise nouvelle. » Un rire sans joie passa la barrière de mes lèvres. « Sérieusement ? Depuis quand a-t-on des bonnes nouvelles de toute façon ? » Je parvenais facilement à énerver mes collaborateurs, mais il ne réagit pas. Etait-ce une annonce si grave que cela ? « Ji Hyuk, c’est… » Mon sang se glaça. « Stop. »  « Elle est décédée. Je suis désolé, vraiment… » Je résistais à l’envie de lui coller mon poing. Il en avait trop dit. « Merci pour l’information, maintenant je dois retourner travailler. » Je savais. Au fond de moi, je savais qu’un jour elle ne reviendrait pas. Les larmes ne coulèrent pas, mais la douleur fut insupportable. Mes pensées rejouaient la promesse silencieuse que je m’étais faite, et je pensais à Ji Wook. Je suis désolé mon fils. Mon cœur laissa place à un trou béant, et ne sachant comment réagir, j’optais pour la haine. Elle avait choisi de partir, elle connaissait les risques…